Euroscepticisme : définitions, raisons et explications

Si vous vous retrouvez un jour à discuter d’euroscepticisme, vous réaliserez rapidement que quelque chose cloche, que votre interlocuteur et vous-même ne semblez pas parler de la même chose. Le problème est que, à partir des années 1990, ce terme a été utilisé pour désigner une large gamme d’opinions, et les gens ont commencé à l’utiliser pour parler de choses très différentes. Ces différences se sont largement accentuées à cause de son utilisation dans les médias. Les journalistes utilisent le terme « euroscepticisme » à tout va, sans visiblement savoir sa réelle signification. A partir du moment où ce mot a été employé pour qualifier des partis politiques anti-Union Européenne, des journalistes ont commencé à l’utiliser comme si « eurosceptique » signifiait être opposé à l’Union Européenne. Dans un certain sens, cela prouve combien l’analyse politique que l’on peut trouver dans les médias est simpliste.

D’un côté, des journaux irlandais tels que The Irish Independent utilisent le mot « eurosceptique » dans sa signification d’origine : être sceptique, avoir certains doutes par rapport au fonctionnement de l’Union Européenne et vouloir en réformer certains aspects. Des journalistes utilisent cette appellation pour parler de Sinn Féin (Irlande) ou de Syriza (Grèce). Il est vrai que ces partis politiques ne sont rien de plus que sceptiques envers l’Union Européenne. Le programme politique de Sinn Féin explique qu’il s’est opposé aux traités européens lorsqu’ils « allaient à l’encontre des intérêts de l’Irlande », mais un porte-parole a clairement expliqué que Sinn Féin n’était pas favorable à un retrait du pays de l’Union Européenne. De même, Syriza dénonce la politique néolibérale de l’Union Européenne et se bat pour une Union plus démocratique et sociale, mais n’est absolument pas opposé à l’UE.

D’un autre côté, on peut trouver des articles d’autres journaux irlandais tels que Business World ou The Irish Times, dans lesquels le mot « eurosceptique » est utilisé pour parler de partis comme UKIP (Royaume-Uni). Dans son programme politique, UKIP exprime clairement que s’il venait au pouvoir, le Royaume-Uni « quittera l’Union Européenne et reprendra le contrôle de ses frontières ». Des journalistes qualifient ce parti d’eurosceptique, mais il n’est pas seulement sceptique envers l’Union Européenne : il est anti-UE. On remarquera que le problème est encore plus profond à la lecture d’un article de The Irish Times : le journaliste choisit d’employer le mot « eurocritique » pour parler de partis qui sont seulement sceptiques envers l’UE, et le mot « eurosceptique » pour des partis anti-UE comme UKIP ou le Front National.

Tobias Theiler, professeur de politique à l’University College Dublin, est d’avis que les médias utilisent « eurosceptique » comme une étiquette, plaquée sur des partis aux opinions très différentes. C’est effectivement problématique puisque il s’agit d’une simplification très poussée. Sous cette étiquette se cachent des formes très variées d’euroscepticisme.

Tobias Theiler pense également que « euroscepticisme » n’a pas la même signification selon les pays. Les médias donnent toujours un point de vue national, même lorsqu’ils parlent de l’Union Européenne. Par exemple, pour les irlandais, qui sont parmi les plus europhiles de l’UE, le mot « eurosceptique » est très péjoratif : on ne souhaiterait vraiment pas se faire appeler ainsi en Irlande. S’il existait des médias paneuropéens, il y aurait probablement une unique définition de « euroscepticisme », et également une plus forte analyse politique puisque qu’il n’y aurait aucune perspective d’un pays particulier.

Tobias Theiler, professeur de politique à Dublin Crédit photo : Louise Prévost
Tobias Theiler, professeur de politique à Dublin
Crédit photo : Louise Prévost

Notons que ce problème ne serait pas si important si les journalistes utilisaient d’avantage que le simple terme « eurosceptique » pour décrire les opinions des partis politiques. Il n’est pas rare qu’ils qualifient un homme politique par ce simple mot, sans donner plus d’éléments, comme si les lecteurs savaient absolument tout sur cette personne et ses opinions. Et lorsque le mot utilisé a des connotations controversées, c’est d’autant plus problématique.

C’est au vu de ce problème que les professeurs et auteurs Aleks Szczerbiak et Paul Taggart ont créé une nette distinction entre ces deux formes très différentes d’euroscepticisme. Ils ont rédigé une claire définition pour chacune d’eux. L’eurosceptique radical (Hard Eurosceptic) est opposé à l’adhésion de son pays à l’UE, ou à l’existence de l’UE. De son côté, l’eurosceptique modéré (Soft Eurosceptic) est favorable à l’existence d’une forme d’union européenne et à l’adhésion de son pays à l’UE, mais est opposé à certaines politiques de l’UE. Pourquoi les journalistes n’utilisent-ils pas ces deux termes pour distinguer des opinions politiques absolument différentes ?

Tandis que la plupart des Européens pensent que « eurosceptique » signifie « anti-UE », il est important de prouver que quelqu’un qui n’est pas opposé à l’UE (et est même profondément favorable à l’UE) peut tout à fait être sceptique envers certains aspects de l’UE. Les sondages de l’Eurobaromètre suggèrent que, bien que la plupart des irlandais sont convaincus qu’une Europe unie est une nécessité dans le monde d’aujourd’hui, seuls 10% pensent que l’UE est réellement démocratique et la majorité est opposé à une Europe fédérale. Beaucoup doutent également de l’utilité de l’UE, critiquent sa politique étrangère ou son système économique perçu comme excessivement capitaliste. Néanmoins, comme le dit Tobias Theiler, c’est une bonne chose d’être eurosceptique. C’est lorsqu’il y a des opinions différentes qu’il y a débat. Cela serait étrange et anti-démocratique que nous soyons tous absolument pro-UE.