Les trompe-l’œil de Georges Rousse
Metz 5, 1994 © Georges Rousse / ADAGP
Metz 5, 1994 © Georges Rousse/ADAGP

Plisser les yeux et se rapprocher pour mieux regarder. Tel est le mouvement du spectateur face aux photographies de Georges Rousse. Mais qu’est-ce donc ? Un élément géométrique et coloré apposé numériquement par montage sur une photographie d’un lieu ? Ou ne serait-ce pas plutôt un véritable élément dessiné et peint à même le mur, le sol et le plafond ? En réalité, Georges Rousse dépasse la planéité d’une simple forme en investissant l’espace d’un lieu et en peignant directement sur le sol, les murs, le plafond pour accomplir ses anamorphoses, visibles d’un point de vue unique, son appareil photo. Voilà le secret de l’énigme.

" Si on se met à l'emplacement de l'appareil photo, si l'on ferme un oeil pour éviter la vision binoculaire, on voit cette forme qui  surgit des murs, verticale. C'est ça que je vais donner à voir au public lyonnais."Georges Rousse
« Si on se met à l’emplacement de l’appareil photo, si l’on ferme un œil pour éviter la vision binoculaire, on voit cette forme qui surgit des murs, verticale. C’est ça que je vais donner à voir au public lyonnais. » Georges Rousse

L’artiste parisien de 67 ans est pluridisciplinaire. Plus qu’un simple travail photographique, il oscille entre sculpture, peinture et architecture. Le processus de création de cet artiste démarre par un important travail technique. De l’investissement d’un lieu prochainement démoli ou en reconversion, Georges Rousse imagine les formes qu’il peindra par des croquis préparatoires. Alors ces cercles ou carrés, toujours de couleurs éclatantes, parfois sourdes et mates, mises en lumière de façon naturelle, semblent flotter dans un lieu qui s’avère depuis longtemps déserté, regagnant l’intérêt de l’homme. Alors cette maison bientôt rasée ou ce théâtre complètement brûlé paraissent ressusciter une dernière fois par ces formules géométriques. Celles-ci semblent parler directement à l’âme, comme le suscite le Carré noir sur fond blanc de Malevitch, inspiration de Georges Rousse.

" Lyon 2012" - 1A (cellule dans bâtiment H Saint Paul) - © Georges Rousse / ADAGP
Lyon 2012 – 1A (cellule dans le bâtiment H de Saint-Paul) – © Georges Rousse/ADAGP

Du 4 avril au 27 juillet 2014, l’exposition Utopies Partagées de Georges Rousse au Plateau, à l’Hôtel de Région à la Confluence, retrace une partie de son Œuvre nomade et anamorphique qui a couru le monde entier à travers cinq espaces et une quarantaine d’œuvres. Lyon a donc invité cet artiste connu et reconnu internationalement par les biennales (Venise, Paris, Sidney), ses prix prestigieux (Prix International Center of Photography de New-York, Grand Prix national de la photographie…) et ses nombreux statuts en tant que pensionnaire à la Villa Médicis à Rome de 1985 à 1987 et, depuis 2008, membre associé de l’Académie royale de Belgique. Mais, comme une agréable surprise, nous apprenons sur place qu’il a un fort lien avec la région Rhône-Alpes. De ce fait, sont exposées les photographies d’anamorphoses qu’il a réalisées à Chambéry, Saint-Genis-Laval, Bourgoin-Jallieu, Thonon-les-Bains ainsi qu’à Lyon. C’est d’ailleurs dans notre ville que Georges Rousse a conçu en 2012 une anamorphose singulière dans une cellule de la prison de Saint-Paul. De ce petit lieu d’enfermement, d’un noir assourdissant, la petite fenêtre du fond à laquelle se mêle le carré bleu illuminé par une lumière blanche constituent l’issue, un passage vers la liberté et le monde de l’autre côté.

© Sandra Calligaro / Picture Tank

Georges Rousse n’a pas gardé pour lui son utopie poétique et mathématique. Non élitiste, il a choisi de s’inscrire dans une démarche sociale et pédagogique : c’est là son utopie partagée. Participent alors à la réalisation des anamorphoses, des jeunes, issus de tous les milieux ou en réinsertion, de banlieue parisienne, de Rhône-Alpes, autant que de l’autre côté des frontières. Très récemment en 2014, soutenu par l’ONG Apnalaya, l’artiste a posé ses valises, ses pinceaux et son appareil photo à Mumbai en Inde. De cette démarche, où il était accompagné de jeunes Indiens issus de bidonvilles, résulte des photographies d’étoiles, version plus poétisée de l’anamorphose, revendues par une galeriste au profit de l’ONG. L’originalité de l’exposition provient aussi de la reconstitution de l’espace à Mumbai où furent exécutées les étoiles. L’œuvre in situ, un disque en anamorphose, permet donc au visiteur de comprendre physiquement le processus de création, et de lui donner forme en se plaçant sur l’unique point de vue indiqué au sol.

Plus incroyable encore, sur certaines photographies, l’anamorphose prend même l’allure d’une carte topographique de l’Himalaya. Reprenant les peintures de Vermeer et les habitats hollandais dans lesquels la carte géographique signifiait l’observation du monde extérieur et les voyages scientifiques, la carte évoque encore ici une invitation au voyage. Georges Rousse soumet une mise en abîme de la mémoire : celle d’un lieu réhabilité par l’anamorphose, lui-même réveillant le souvenir d’un paysage parcouru.

Entrée libre, visite gratuite (sur réservation) et surtout, véritable coup de cœur, je vous invite à vous y rendre. Mieux encore, une conférence en présence de Georges Rousse aura lieu le 10 juin prochain à 18 h 30 à l’Hôtel de Région. ALLEZ-Y !

Voir le site officiel de l’artiste.