Abd Al Malik revisite Camus : une écriture brute qui rejette le déterminisme
Abd Al Malik

L’espace Albert Camus à Bron, vous connaissez ? C’est à l’intérieur de ce très beau pôle culturel qu’Abd Al Malik, sous ses casquettes de rappeur, musicien, homme de lettres et militant pour la vie, a repris son spectacle « L’art et la Révolte ». Entre théâtre, poésie et performance musicale, le slameur s’approprie la scène pour nous faire (re)découvrir son modèle : Albert Camus.

Abd Al Malik
Crédit photo : Pôle en Scène – Espace Albert Camus

L’envers et l’endroit, d’Albert Camus – un modèle qui donne des ailes

C’est une lecture de jeunesse qui l’a bouleversé, « parce que c’est l’histoire de la vie », parce que c’est un livre qui fait revenir aux sources de l’humanité. Abd Al Malik déplore que la présence de références nous fasse aujourd’hui défaut. Nous n’avons plus de personnes pensantes à nos côtés, nous disant avec force qu’ils sont avec nous. Or Camus, c’est celui qui l’a sauvé de la noyade, qui lui a « fait faire la paix avec Sartre comme un Jay-Z la paix avec Nas ».

On comprend que l’artiste se redresse à travers Camus, il se lève et même s’envole !

Abd Al Malik : Hip-hop, Jazz, piano-voix

C’est ce rapport étroit qui est exploré dans le spectacle, à travers trois parties distinctes. Les premiers pas, balbutiants, d’un hip-hop revendicatif. La mélodie jazzy, rock, arrive dans un deuxième temps, comme un souffle de renouveau dans une vie chaotique. Enfin, la poésie du piano, plus sûre et affirmée, vers un message de paix et de sérénité.

Toujours vers le mieux, les textes d’Abd Al Malik s’intensifient au rythme du dialogue avec l’auteur-penseur.

Abd Al Malik
Crédit photo: Charlotte Ballet-baz

Mais pourquoi ne pas passer directement par l’artiste pour entendre son message ? Juste avant son spectacle, Abd Al Malik a pris quelques minutes pour nous parler un peu mieux de son projet.

Quelle démarche pour le spectacle « l’Art et la révolte » ? Après des chansons, un film, un spectacle ?

Catherine Camus (la fille d’Albert Camus et Francine Faure) m’a contacté pour le centenaire de la naissance d’Albert Camus, le 7 novembre 2013. L’idée qu’elle m’a proposée au départ, c’était de faire un spectacle autour du Premier Homme, mais je l’ai guidée vers L’envers et l’endroit, le premier livre écrit par Albert Camus. On a fait une création pour le Grand Théâtre d’Aix, et ensuite une tournée en France. C’est elle qui m’a donné l’idée, et elle est venue vers moi car je suis un camusard notoire ! C’est une vraie référence pour moi.

L’espace Albert Camus à Bron, c’est donc un choix ?

Ça faisait sens. Albert Camus, c’est une figure qui est, en France et dans le monde, presque institutionnelle, et en tous cas, institutionnalisée. Donc il y a ces lieux nommés à sa mémoire, et je trouve que faire résonner la parole vivante dans ces lieux-là, la parole vivante d’Albert Camus qui est finalement en phase avec l’époque, ça fait sens.

Jouer à l’espace Albert Camus, c’est donc à la fois mon choix et une invitation. Les programmateurs de la salle ont vu mon spectacle, ils sont venus me voir et voilà.

Il y a une progression de style durant le spectacle : d’abord hip-hop, puis jazzy, et enfin piano-voix. Cette diversité musicale a-t-elle une signification ?

Oui, elle a un sens, parce que chaque étape marque à la fois une étape dans mon parcours en tant qu’être et en tant qu’artiste, qui fait écho au parcours en tant qu’être et artiste de Camus lui-même. Donc parler de ce qui est purement hip-hop, culture urbaine, c’est l’idée de parler aussi de notre rapport aux sociétés modernes, de notre rapport à la solitude, du rapport à l’autre, la difficulté du rapport à l’autre. La deuxième partie, qui est un peu plus organique, qui est plus jazz et rock a pour idée de justement parler du rapport à l’autre, comment on transcende sa condition, comment on sort de ses ghettos et on est en lien avec l’autre. Et puis la dernière partie c’est vraiment piano-voix, ce sont les grands thèmes camusiens, à savoir tous les combats qu’il a menés contre toute forme d’injustice. Donc tout est en lien !

On retrouve l’idée de guider la jeunesse à travers vos textes. Est-ce que vous réalisez des projets en particulier avec les jeunes ?

Évidemment je fais des choses avec des jeunes, mais aussi avec des moins jeunes ; je ne réfléchis pas à ce niveau-là. Il y a cette idée de la mixité générationnelle, c’est-à-dire que les jeunes ont besoin d’apprendre des anciens, et les anciens ont aussi besoin d’apprendre des jeunes. Ce qui est important c’est de dire que justement la culture, la musique, l’art, la littérature, ce sont des choses qui font du lien. Et c’est ce qui est important aujourd’hui de mon point de vue. C’est la capacité qu’on aura à sortir de tous nos ghettos. Et même le ghetto lié à l’âge, justement. Des figures comme Camus font ce lien-là, et c’est important de magnifier ce genre d’artiste !

Des projets pour la suite ?

Oui, plusieurs projets.  L’idée c’est de continuer à utiliser tous les moyens qui me sont donnés – la musique, la littérature et le cinéma, pour faire du lien, et dire que c’est ensemble qu’on pourra changer positivement ce monde, pas séparément. D’une certaine manière c’est comme si un choix nous était posé entre le choix de l’humanité, et le choix de la bêtise qui sépare les êtres, au lieu de dire qu’on partage cette chose qui est l’humanité.

Si cette introduction d’Abd Al Malik vous a mis l’eau à la bouche (ce dont je ne doute pas), je vous laisse aller découvrir son livre, Camus, l’art de la révolte ! Et puis pourquoi pas en profiter pour relire ses classiques … L’envers et l’endroit, vous connaissez ?

Abd Al Malik

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exerçons au mieux notre métier d’être humain

« Certes on tombe, mais on se relève, on doit se relever. Et quand bien même le monde serait absurde, on doit exercer au mieux notre métier d’homme, notre métier d’être humain ».  

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