Rencontre avec Krisfader au Mama Shelter

DJ Krisfader est un DJ Hip Hop lyonnais, pionnier du genre. Il est l’ex-DJ du groupe de rap lyonnais IPM qui a sorti deux albums dans les années 90. Il vit maintenant en Haute-Savoie, mais continue d’officier entre sa région d’adoption et Lyon. Le samedi 18 novembre, nous avons eu la chance d’échanger avec lui dans une bonne ambiance avant son set au Mama Shelter de Lyon…

Léonard Valente : Parle-nous de tes débuts, comment l’aventure a-t-elle commencé ?

DJ Krisfader : J’ai commencé à mixer assez tardivement, en 1993, soit à 23 ans, même si j’avais déjà manipulé maladroitement des platines depuis 1991 sur Radio Brume. J’ai tout de suite cherché à rencontrer des DJs Hip Hop déjà actifs sur Lyon tels que Chérif (du groupe MCM 90) puis son successeur Wilfried (producteur du Gang du Lyonnais et aujourd’hui Will da Funky Boss), ainsi que d’autres animateurs de radio tels que Marco DSL, Marc de la Blackline sur RCT ou DJ Stani du groupe DNC.

DJ Duke (Assassin) est arrivé sur Lyon à cette époque je crois, et DJ Izo peu de temps après. Il y avait aussi Akos (producteur du groupe Color) et puis d’autres qui ont commencé un peu après moi, comme DeeDidy (qui est devenu aussi DJ de Color par la suite), DJ XL, Hora, Sidney, Ophax, Fredine et Samir, qui est arrivé un peu après sur Lyon, et d’autres que j’ai certainement oublié et je m’en excuse. Je n’oublie bien sûr pas DJ Roots aka Le Sourcier, 1er DJ d’IPM et un certain Fred qui lui aussi a officié dans IPM et qui m’ont donné quelques bases.

Bref, nous n’étions pas très nombreux mais tous très motivés. Certains ont lâché prise après quelques années, d’autres ont continué dans le deejaying de soirées ou dans la production, ou les deux.

Ce qui m’a motivé pour me lancer, c’est l’amour de la musique avant tout, et surtout pas le désir de me montrer, ah ça, non, lol ! Et puis, quand j’entendais DJ Premier, DJ Scratch, Terminator X, etc., poser des scratchs, je kiffais à mort. Même les scratchs de DJ Clyde, DJ S, DJ Khéops et Jimmy Jay, sur les albums français de l’époque, étaient très bons, sans oublier le parrain DeeNasty que j’ai vu à la MJC de Revaison à Saint Priest en 1991, je crois : nous étions peut-être 25 dans la salle ce jour-là, mais il nous a tous fait kiffer. Deux ou trois ans plus tard, j’ai vu Cut Killer au Cool K (boîte Hip Hop de la Croix-Rousse) qui avait tout déchiré aussi.

Et puis après, j’ai eu la chance de croiser et mixer avec des big DJs français de l’époque : Poska, Goldfinger, Kost, Abdel, James, Naugty J… C’était plus vers 97/98.

LV : Quand on écoute tes sets, on remarque aussi ton amour pour le reggae/ragga. D’où viennent tes influences ?

DJK : Concernant la musique jamaïcaine, je suis tombé dedans très jeune. J’avais un grand frère qui avait 5 ans de plus que moi donc au début des 80’s, quand j’avais 10-11 ans, j’ai entendu du Bob Marley tourner dans ma chambre. Il y avait même des titres qui passaient sur les grosses radios de l’époque comme RTL ou Europe 1 : Pass the Dutchie de Musical Youth, Stick a bush des Gladiators, Amigo de Black Slate, Food for though de UB40 et des sons de Bob Marley évidemment.

Peu de temps après, Alpha Blondy a explosé en France avec l’album Jay Glory. À la suite de ça, j’ai commencé à me pencher sur tout ce qui venait de là-bas, si bien qu’aujourd’hui, je peux très bien m’écouter un album 60’s de Desmond Dekker ou Ken Booth, un 70’s de Burning Spear ou un Culture, un 80’s de Yellowman ou Gregory Isaac, un 90’s de Bounty Killer ou Shabba Ranks, un Sizzla ou Capleton… Bref, tout du early 60’s jusqu’au dernier single de Vybz Kartel ou de Alkaline sorti la semaine dernière. Rocksteady, Roots, Rub-a-Dub, Digital, Lover’s ou Dancehall bien hardcore… Je prends tout.

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LV : Pourquoi, selon toi, tu n’es pas un DJ seulement Hip Hop ?

DJK : Je ne sais pas si je dois me considérer comme un DJ Hip Hop/dancehall, mais c’est vrai que ce sont les deux domaines que je maîtrise le mieux en termes de mix. Et si c’était que moi, je jouerais volontiers 50/50 mais ce n’est pas toujours possible selon les soirées.

LV : Et le dirty south alors, qu’est-ce que t’en penses ?

DJK : Pour le son du Sud des States, c’est vrai que j’ai accroché quand les rappeurs de ATL ou Miami ont commencé à cartonner vers la fin des 90’s même si les Outkast ou les Geto Boyz de Houston avaient déjà posé leurs burnes sur la table avant. En fait, je trouvais que les sons East et West de la fin des 90’s commençaient à tourner en rond, pas tous évidemment, mais ça n’évoluait plus trop.

LV : Est-ce qu’il y a des artistes que tu étais le seul (ou dans les premiers, en tout cas) à passer en soirée ?

DJK : Quand les labels Cash Money (Juvenile, Hot Boyz, Lil Wayne…), Hypnotize Minds (Three 6 Mafia, Gangsta Boo…), No Limit (Master P, Mystikal…) ou Slip’n’Slide (Trick Daddy, Trina…) puis Ludacris, Lil Jon et toute sa clique, T.I, etc., sont arrivés, je trouvais qu’ils arrivaient avec du frais, du moins au niveau des sons. J’ai donc commencé à en jouer en soirée et les gens ont commencé à adhérer petit à petit.

C’est vrai qu’au niveau flow et lyrics, ce n’était pas toujours au top mais quand même, je pense que les Lil Wayne, T.I, Ludacris et Mystikal dans une moindre mesure ont quand même apporté quelque chose. Cette bonne période du Dirty South, c’était pour moi de 1998 à 2005 en gros.

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LV : Comment doit-on s’y prendre pour faire danser les gens en soirée ?

DJK : Avec le temps et, comme tout le monde le sait, avec l’arrivée d’Internet, la donne a changé en soirée. Le DJ, même en fouinant tous les jours sur la toile comme j’essaye de le faire, n’est pas forcément en avance sur le public. Aujourd’hui, quelqu’un peut débarquer en soirée et réclamer au DJ un son qu’il a téléchargé il y a une heure à peine. Il y a les bons côtés, ça oblige le DJ à rester alerte ; et les mauvais côtés, c’est que des fois, on te réclame tout et n’importe quoi.

Aujourd’hui, il faut savoir s’adapter et il m’arrive de jouer des tracks uniquement pour les gens, des trucs que je n’écoute pas forcément, voire pas du tout, mais dans ce cas-là, il faut voir le côté professionnel, ce pour quoi tu es engagé. Heureusement, la plupart du temps, je fais quand même ce que je veux, c’est un luxe. C’est vrai que j’approche doucement de la cinquantaine donc je n’ai pas forcément la même sensibilité qu’un jeune de 20 ans mais j’essaye de m’accrocher quand même. En tout cas, en rap US et en dancehall jamaïcain, je pense encore être à l’heure.

Pour le reste, je me renseigne, j’étudie, j’écoute et je fourre ça dans un coin de mon ordi au cas où, en espérant ne pas avoir à m’en servir.

LV : Quel est ton timing pour le tracklisting ?

DJK : Quand je débarque en soirée, je ne viens jamais avec un plan pré-établi car on ne sait jamais vraiment comment ça va se passer, surtout si on mixe à plusieurs. Si je dois mixer seul, c’est pareil, je peux partir sur de l’ancien pour revenir sur du plus récent et ainsi de suite ou l’inverse. Il faut juste arriver à cerner le public rapidement pour voir sur quoi il réagit. Après, tout dépend des gens, de leurs âges, du lieu, de ce qu’ils veulent en fait et aussi de leur taux d’alcoolémie en fin de soirée mdr !

LV : Et actuellement, quels sont les sons ou les artistes que tu aimes passer en soirée ?

DJK : Pour les sons que j’aime passer en ce moment : Future & Young Thug « Patek water », Gucci Mane & Migos « I get the bag », Chris Brown « Pills & Automobile » et « High end », Lil Uzi Vert « The way life », Travis Scott « Butterfly », 21 Savage, Offset & Travis Scott, « Ghostface », Asap Ferg « Plain jane » etc. Bref, tous les sons qu’on aura oublié l’année prochaine, mdr !

Sinon, pour le dancehall : Vybz Kartel « Hum hum », Crazy Glue riddim, Alkaline « Suave », Vybz Kartel « So easy » et plein d’autres.

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LV : Comment tu arrives à concilier ta vie de DJ et ta vie de famille ?

DJK : Pour concilier vie de famille et vie de DJ, il faut simplement prendre un bon rythme : se reposer quand on peut. En fait, tout dépend de l’âge des enfants. Quand mes jumelles sont nées il y a 4 ans, c’est vrai que je me suis posé des questions tellement les nuits étaient dures, mais bon, ça dépend aussi de la fréquence des soirées. Là, je sors d’une résidence de 2 ans et demi à raison de 3 soirs par semaine, c’est juste une question de rythme et d’accord d’emploi du temps avec madame. Et puis mes filles vont à l’école, donc ça laisse du temps à côté.

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