Une Belle Fin, l’affiche qui redonne goût à la vie

Les affiches de cinéma sont une sorte de musée à ciel ouvert. Chefs-d’œuvre et ébauches s’exposent dans la rue à la subjectivité de chacun. Vous en croisez peut-être tous les jours, mais rares sont celles qui vont capter votre attention, vous arrêter dans votre course contre le temps, pour se laisser contempler, et libérer votre imagination. Têtes d’affiche, c’est le lieu où j’ai décidé de partager avec vous les réflexions que certaines d’entre elles m’ont inspirées.

Une vocation mortelle

Imaginez-vous dans un lieu calme et silencieux. Tiré à quatre épingles. L’endroit est splendide. Il y fait un peu froid, c’est vrai, mais vous ne vous en souciez pas le moins du monde. Autour de vous, toutes vos connaissances, ou presque, et même quelques inconnus. Vous êtes le centre de l’attention. Tout le monde est venu pour vous. Vous êtes allongé, les bras le long du corps ou les mains croisées sur la poitrine. En fait, vous êtes mort, et vous assistez à votre enterrement (mais ce n’est qu’un détail). Quelqu’un prend soudain la parole, et parle de vous. Il condense votre vie. Que dit-il ? Qu’aimeriez-vous qu’il dise ? Vous constatez, non sans satisfaction, que sa voix sied parfaitement à l’exercice. Le texte n’est pas mal, mais il mériterait quelques corrections. Des imprécisions se sont glissées dans les dates ou dans les noms… Le problème, c’est que vous aurez toutes les peines du monde à exiger un droit de réponse, vous êtes mort, rappelez-vous. Ce texte, censé faire le point sur votre vie à l’aube de son achèvement, c’est ce que l’on appelle un éloge funèbre. Si personne ne se porte volontaire, ou si tous vous contacts vous ont précédés dans la tombe, c’est un parfait inconnu qui sera mandaté pour l’écrire. Quelqu’un qui, à-priori, ne connaît rien, ou si peu, de votre vie. Ce job fantastique, c’est celui qu’exerce avec passion le personnage central d’Une Belle Fin.

L'affiche du film Une Belle Fin, réalisé par Umberto Pasolini, en salle depuis le 15 avril
L’affiche du film Une Belle Fin, réalisé par Uberto Pasolini, en salle depuis le 15 avril

C’est un exercice curieux que d’imaginer son propre éloge funèbre… mais peut-être moins que de réfléchir à celui des autres, après tout. Particulièrement aux yeux de forces de l’ordre qui auraient emprunté dans leur course contre le crime et dans un fantasme de surveillance totalitaire, la prescience d’un Minority Report, sans en oublier les bugs informatiques (les joies de l’administration). Ce que je veux dire par là, c’est qu’entre gens de bonne société, préparer l’éloge funèbre d’une de ses connaissances, notamment si personne, pas même son médecin, n’est encore au courant de son cancer des poumons ou de son infarctus en sursis, pourrait être mal pris. Et pourtant… Si vous considérez comme de bons amis les personnes de votre entourage qui ne tarderont pas à vous révéler le morceau d’épinards coincé entre votre incisive et votre canine, celles qui seraient prêtes à faire votre éloge funèbre sont sans doute plus dignes de confiance encore. Je m’explique.

Éloge funèbre, mode d’emploi

Considérons qu’il existe deux types d’éloges funèbres : les francs, susceptibles de nous apporter quelque chose, et ceux des héritiers du défunt. Puisque dans notre exemple, vous jouez le rôle du macchabée, vous veillerez à ce que vos amis ne fassent surtout pas parti de la seconde catégorie. L’exercice ne serait-il pas riche d’enseignements, si vous pouviez prendre connaissance du bilan que tireront vos proches de votre vie, si vous veniez, mettons demain par exemple, à passer l’arme à gauche ? Interrogez-vous. Quel bilan sera tiré de votre vie ? Quels évènements marquants seront sélectionnés pour ponctuer le discours d’anecdotes ? Qu’imagineront-ils de vos regrets, de vos rêves inachevés ? Ce sont toutes ces questions que le personnage d’Une Belle Fin semble se poser, le nez en l’air, le regard vers le ciel, cherchant des réponses dans l’immensité du vide qui permet parfois de projeter ses illusions. Car lui ne connait pas, ou si peu, les hommes dont il doit vous narrer l’existence.

Ce que la mort rend si insupportable aux vivants, c’est peut-être son goût d’inachevé ; pour le défunt, bien entendu, mais surtout pour eux-mêmes. Or, jauger d’une belle fin revient souvent à considérer que le mort a eu « une belle vie », jugement on ne peut plus subjectif, certes, mais qui parvient pourtant régulièrement à un compromis groupal, au profit de quelques banales conceptions philosophiques universelles. L’ennui, avec l’éloge funèbre exhortant l’assistance à ne pas perdre de temps dans cette courte vie, c’est qu’il arrive toujours un peu tard pour la personne rigide et pâlichonne étendue au milieu de ce beau monde. Alors imaginez si vous pouviez profiter, de votre vivant, de l’éloge funèbre, non, disons, d’un éloge de vie, d’un véritable ami. Qui sait ? Peut-être ferait-il émerger du tréfonds de vous quelques aspirations et quelques rêves, que vous aviez enfoui si profondément, confiés à mi-voix, il y a si longtemps, que vous seriez surpris de constater que certaines personnes ne les ont jamais oubliés, et non pas, comme vous, jeter dessus un voile de désillusion pour les remiser au grenier de votre existence. Que reste-t-il à accomplir, à vivre, à ressentir… ? Voilà à quoi devrait servir un éloge funèbre pour les vivants. Il est simplement dommage de devoir perdre quelqu’un pour se l’entendre dire. Heureusement que les films, et l’art en général, existent…

Une dernière chose, s’il vous prend l’envie de faire « l’éloge de vie » d’un de vos amis, mais que la tâche vous semble trop rude (un éloge, ce peut être long), rien ne vous empêche d’opter pour un style plus court, un condensé qui, par ce qu’il ne dira pas, mais se contentera de suggérer, révélera encore plus : un épitaphe. Car en définitive, je crois que l’épitaphe est à l’éloge funèbre ce que le haïku est à la poésie, et l’affiche d’un film, à sa bande-annonce.

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Yoann Clayeux

Fraichement débarqué dans l'association en 2014, passé par la rubrique Théâtre et la correction d'articles, avant d'occuper le poste de Rédacteur en chef pendant près de deux saisons, j'ai depuis cédé ma place pour revenir à l'écriture d'articles en dilettante.