Ecrans Mixtes : une visibilité pour la communauté LGBT
Ecrans mixtes

Du 8 au 14 mars se tiendra à Lyon la 10e édition du Festival Ecrans Mixtes qui met chaque année à l’honneur la représentation de la communauté LGBT dans toute sa diversité. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un cinéma marginal, souvent mal ou méconnu.

Lors de la soirée de lancement de cette édition qui se tenait à la boutique Agnès B (partenaire et bienfaitrice de cette édition) j’ai pu aller à la rencontre des personnes qui font vivre ce festival chaque année avec la même détermination.

Écrans Invisibles ?

Déjà 10 ans que le Festival s’est développé dans la capitale des gônes, un chiffre symbolique qui s’est pourtant assorti cette années d’une bien mauvaise nouvelle. Yvan Mitifiot, directeur artistique du Festival depuis ses débuts, me confiait ainsi la déconvenue de l’équipe à l’annonce de la suppression de la subvention régionale qui représentait chaque année 25 % du budget du festival.

Les festivals de Saint-Étienne (Face à Face) et Grenoble (Vu d’en face) sont également tombés sous le même couperet. L’édition de Grenoble qui se tiendra en avril recherche d’ailleurs toujours des contributeurs.

C’est alors qu’Agnes B est entrée en scène offrant à Ecrans Mixtes un parrainage de poids pour cette édition. Et qui mieux qu’elle pour soutenir et défendre ce festival quand on sait son implication dans la production de films tel que Walk Away Renée de Jonathan Caouette (invité de cette édition). Où encore, en 2011 le documentaire de Jafar Panahi Ceci n’est pas un film dont le fichier est parvenu au Festival de Cannes caché dans un gâteau, alors que son réalisateur était assigné à résidence et interdit de filmer pendant 20 ans.

Pour Yvan Mitifot, il apparaissait comme une évidence d’accepter son soutien,  au vu de ses inspirations nourries par la culture queer et de son engagement auprès de la communauté LGBT dans de nombreux domaines.

Ouverture et Clôture : Interroger le masculin

Le choix d’ouvrir et de clore ce festival avec l’avant-première des Initiés de John Tengrove et la ressortie en version restaurée du cultissime Priscilla Folle du Désert de Stefen Elliot donne le ton de cette édition. Faire coïncider les représentations nouvelles et passées de la communauté LGBT pour mieux en questionner l’évolution.

Yvan Mitifiot me confiait ainsi que le festival était particulièrement fièr d’ouvrir sur Les Initiés qu’il considère comme un film important. En effet, rares sont les films africains à traiter de l’homosexualité. Et il est ici pleinement question d’une dualité du masculin et d’une recherche de soi. Xolani se trouve ainsi pris au piège entre son amour pour un autre homme et la tradition de sa communauté qui veut que les hommes suspectés d’homosexualité soient initiés pour devenir «  de vrais hommes ».

Une expression qui ferait probablement bien rire les trois drag queens de Priscilla Folle du Désert. Car rien n’arrêtera la folle équipée, pas même une panne de bus dans le désert et surtout pas la moquerie et l’hostilité de leurs contemporains qui finira par les mener au sommet de la montagne.

Ainsi, montrer un film comme Les Initiés, c’est donner une visibilité à un objet cinématographique que son sujet rend marginal par essence. Et il est bien connu que les festivals sont bien souvent les seuls outils de visibilité de ces films qui trouvent distributeurs grâce aux prix et distinctions qu’ils reçoivent. Quant à Priscilla Folle du Désert, remontrer aujourd’hui ce film qui fait toujours figure d’ovni, c’est affirmer la question d’une culture LGBT et toujours questionner sa place au sein de la société.

Invitation à Jonathan Caouette

Après Panos H. Koutras l’année dernière, c’est au tour de Jonathan Caouette de parrainer cette édition du festival en tant qu’invité.

Avec Tarnation et Walk Away Renée, qu’il viendra présenter aux spectateurs, Jonathan Caouette a contribué à écrire une nouvelle page de l’Histoire du journal filmé et du documentaire. Dans Tarnation il filme dès ses 11 ans la dérive psychologique de sa famille et la difficile prise de conscience de son homosexualité. Et c’est sept ans plus tard qu’il signe son retour avec Walk Away Renée, road movie apaisé où il renoue avec sa mère abusive pour la conduire dans une nouvelle institution psychologique qui subviendra à ses besoins.

Pour sa carte blanche, Jonathan Caouette viendra présenter à l’Institut Lumière la version restaurée du premier film de Todd Haynes. Librement inspiré du sublime Un Chant d’Amour, unique film de Jean Genet, Poison est un triptyque intense qui préfigure déjà l’attachement du réalisateur aux questions du cinéma LGBT qu’il poursuivra avec Velvet Goldmine, Loin du Paradis et tout récemment Carol.

Et comme le réalisateur n’est pas avare lorsqu’il s’agit de partager avec son public, il présentera au Lavoir Public un programme de 8 de ses courts-métrages qui sera suivi d’un DJ set assuré par ses soins ! Il donnera également une master class au cours du festival.

Documentaire pour tous !

Comme chaque année le festival se dote d’un programme de documentaires aussi florissant qu’éclectique. Avec Kiki de Sara Jordeno on se retrouve face à la digne descendance de Paris is Burning de Jennie Levingstone, un monde où les soirées LGBT (Kiki) et le vogging permettent aux communautés noire et latino de s’affirmer. Notre découverte se poursuit avec Être Cheval de Jérôme Clément-Wilz qui nous initie à la pratique érotique et fétiche du poney play.

Dans le cadre de son nouveau partenariat avec les bibliothèques municipales de Lyon, le Festival offrira aux spectateurs 4 séances gratuites. Avec Alice Walker : Beauty in Truth on découvrira l’histoire d’Alice Walker, prix Pulitzer pour son roman La couleur Pourpre, qui nous rappelle l’émancipation féministe des femmes noires. Ce même désir d’émancipation et d’affirmation, on le retrouve dans le documentaire sensible de Sébastien Lifshitz, Les Vies de Thérèse qui accompagne dans ses dernières heures la militante féministe et LGBT Thérèse Leclerc.

Avec Guru, Une famille Hijra de Laurie Colson et Axelle Dauphin, on plongera dans l’existence marginale de la communauté transgenre d’Inde, Les Hijras, qui ont le pouvoir de maudire et bénir la population. Enfin à la bibliothèque du 3e arrondissement sera présenté Cerveaux mouillés d’orages qui donne à voir le quotidien d’un couple de femmes handicapées, sous le regard bienveillant de la photographe Karine Lhémon.

Et encore beaucoup d’autres films à découvrir lors de cette édition : invitation à Patric Chiha, Barash de Michal Vinik, Rara de Pepa San Martin, Of Girls and Horses de Monika Treut, Jeunes filles en uniformes (comédie lesbienne des années 30, projection gratuite au Goethe Institut), Paroles de King de Chriss Lag dans le cadre du festival « Fais pas Genre » à l’Université Lyon 2, etc.

Laurine Labourier