3 spectacles qui ont enflammé les Nuits de Fourvière

Du programme théâtral de cette 70ème édition des Nuits de Fourvière, ArlyoMag retiendra 3 grands spectacles. Retour sur le théâtre équestre par Zingaro, la lecture jubilatoire de Toutaristophane, et le marathon du triptyque Tchekhov.

Zingaro

On achève bien les anges (élégies) est une des premières pièces à avoir ouvert Les Nuits de cette année. Depuis sa création en 1985, la compagnie française Zingaro, reconnue internationalement, n’a de cesse de faire découvrir et de promouvoir le théâtre équestre. Son créateur, le truculent Bartabas, donne le premier rôle de ses créations à ses chevaux, dans des mises en scène poétiques aux dialogues musicaux.

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Un spectacle engagé

En nichant son immense chapiteau au cœur du parc de Parilly, Zingaro a fait l’honneur aux lyonnais de leur présenter sa dernière création en exclusivité mondiale. Un nouveau spectacle sur le sentiment religieux, dont le titre ne présageait pas d’une comédie… Pourtant, au cours des deux heures de représentation, des rires sont parvenus à s’élever entre les scènes saisissantes et mélancoliques. Quelques instants disséminés avec soin, pour faire retomber la tension d’une atmosphère oppressante, mais juste. Longuement confinés sous la moiteur d’un chapiteau, silencieux et contenus dans leur envie d’applaudir (pour ne pas effrayer les chevaux), les spectateurs se retrouvent dans une ambiance un peu mystique, qui contraste étrangement avec l’implacable désacralisation qui s’offrent sous leurs yeux. Poète provocateur, Bartabas nourrit l’idée de ce spectacle après les attentats de Charlie Hebdo. Il rend hommage en dénonçant le fanatisme.

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You’re Innocent When You Dream…

La musique et la voix entêtante de Tom Waits servent de fil rouge aux tableaux qui se succèdent. Beaucoup d’entre eux occupent encore l’esprit, longtemps après la représentation. Bartabas n’est pas l’homme d’un seul combat. De l’aveugle déambulant dans un cimetière et qui fais choir de sa cane blanche les signes religieux, aux clowns-bouchers qui proposent à l’assistance des sucettes à la viande pour dénoncer l’exploitation animale, tout est symbole, et tout prend sens. On achève bien les anges fait réfléchir, émeut et impressionne aussi, par les prouesses de voltige que les danseurs accomplissent avec les chevaux. Une tournée française est prévue en 2016, tandis qu’une tournée internationale se prépare. Alors si vous l’avez rater, un seul conseil : galopez-y.

 

https://vimeo.com/129433737

Toutaristophane

Avant de parler de Toutaristophane et du formidable travail de reprise qu’à effectuer Serge Valletti, il faut dire un mot du dramaturge et de l’œuvre dans lequel il a puisé. Aristophane est un poète antique qui s’est illustré sous l’apogée d’Athènes (Vème siècle av. J-C.). De ses nombreuses comédies, 11 seulement nous sont parvenues. Admirée de son temps, l’œuvre d’Aristophane a traversé les siècles et ses pièces sont absolument fondamentales dans la culture occidentale. Ses satires sociales et ses pamphlets politiques sont non seulement de formidables témoins de son époque, mais ils illustrent également les formes de la comédie ancienne. De ces fragments d’antiquité, Serge Valletti y a vu, lui, une forme de modernité.

C’est dans les  vieilles marmites…

Ces dernières années, le dramaturge moderne s’est penché sur la traduction et l’adaptation des pièces de son comparse antique. Sous la plume du premier, Les Cavaliers sont rebaptisés Les Marseillais ; Les Grenouilles se transforment en Reviennent les lucioles ! Et Les Nuées deviennent Idées fumantes, entre autres… Dans la version présentée aux Nuits de Fourvière, Toutaristophane réunit des fragments de 8 pièces et s’attache à montrer une certaine cyclicité dans l’histoire du Théâtre. Ainsi, la notion relativement récente de « quatrième mur », c’est à dire du rapport entre la scène et le public, mais surtout de son implosion, se trouve en fait déjà dans Aristophane. Les adresses aux spectateurs, très nombreuses dans les premiers travaux du poète antique, se font au fur et à mesure de sa carrière de plus en plus rares pour former, finalement, les prémisses de ce « quatrième  mur  » et l’espace scénique moderne que l’on connaît. À travers Aristophane, Serge Valletti nous transmet une formidable leçon d’humilité (vilain, vilain hùbris !). Il nous rappelle ainsi que ce qui se camoufle parfois sous le masque de l’innovation et de la modernité, n’est souvent que la pâle copie d’un génie depuis longtemps passé à la postérité.

Eric Elmosnino, derrière Serge Valletti
Eric Elmosnino, derrière Serge Valletti

Un casting aux petits oignons

Dans un monde idéal, un texte hilarant aux phrases ciselées suffirait à transformer une lecture d’extraits un peu décousue en un grand moment de théâtre. Dans notre réalité, cela nécessite quelques ingrédients supplémentaires. Fort heureusement pour le public rassemblé ce soir là dans la somptueuse cour du lycée Saint-Just, ce fut le cas, grâce notamment à une distribution exceptionnelle. Dans ce lieu chargé d’Histoire, sous l’égide des pierres plusieurs fois centenaires et au-dessus d’une citerne gallo-romaine (la fameuse Grotte Bérelle), les acteurs ont été brillants. La grande Ariane Ascaride, Hervé Pierre, de la Comédie Française, ou encore Eric Elmosnino (connu du grand public pour son César du meilleur acteur dans Gainsbourg, Vie héroïque, ou vu récemment dans la peau d’un professeur de chant dans La famille Bélier) en tête. Généreux dans leur jeu, dotés d’une énergie communicative, ils ont su rendre exceptionnelle cette unique représentation.

La cour du Lycée St Just Claude Devigne
La cour du Lycée St Just (Copyright : Claude Devigne)

Triptyque Tchekhov

C’était l’événement théâtre de ces Nuits de Fourvière. Trois pièces successives ; plus de 5h de représentations ; des spectateurs attendus à 15h pour une dernière salve d’applaudissements à 23h… Quand Christian Benedetti décide de jouer Tchekhov à Lyon, il ne fait pas dans la demie-mesure. Le directeur du Théâtre-Studio d’Alfortville est un grand connaisseur du théâtre russe. Dans son antre du Val-de-Marne, il crée La Mouette en 2011, Oncle Vania l’année suivante, et Trois Sœurs en 2013. Un retour aux sources pour celui qui a commencé sa carrière en mettant en scène le dramaturge russe. Mais c’est un pari un peu fou qu’il se lance en voulant jouer ces trois pièces l’une après l’autre au Théâtre de la Renaissance, à Oullins.

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Entre sprint et endurance

« Je voudrais qu’on me joue d’une façon toute simple, primitive… Comme dans l’ancien temps… une chambre… sur l’avant-scène un divan, des chaises… Et puis de bons acteurs qui jouent… C’est tout… Et sans oiseaux et sans humeurs accessoiresques… ça me plairait beaucoup de voir mes pièces représentées de cette façon-là… »

Christian Benedetti semble avoir entendu cette supplique d’Anton Tchekhov quand il déclare  :

« Le théâtre de Tchekhov n’est pas un théâtre de fiction, les êtres parlent vite, comme ils pensent. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela va vite. Mis en scène par Benedetti, Oncle Vania par exemple, d’une durée habituelle d’environ 3h, se trouve presque raccourci de moitié. À ces trois pièces, tel un sprinteur, le metteur en scène et comédien insuffle un rythme nouveau, qui fait résonner d’une toute autre manière l’œuvre du russe, le rendant actuel comme jamais. Course d’endurance également, particulièrement pour les acteurs, parmi lesquels Laurent Huon, Phillipe Crubézy et Christian Benedetti lui-même, ont relevé le défi d’assurer les trois pièces.

Ne serait-ce pas un paradoxe, de faire jouer ses comédiens plus vite, pour en fin de compte enchaîner trois représentations  ? Non, car ce qui pourrait être pris pour une crise de boulimie artistique n’en est pas une. Présentés à la suite, les thèmes des trois pièces s’entremêlent et nous parlent comme il ne l’ont peut-être jamais fait auparavant. La famille, l’amour, la mort, l’espoir, la création… c’est ce traitement authentique qui fait leur originalité, loin d’un ralentissement artificiel de circonstances. Les acteurs ne courent pas, ils tentent seulement de suivre la cadence de la vie réelle comme savait si bien la dépeindre Tchekhov.

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Un dispositif exceptionnel

En plus de la prouesse d’enchaîner ces trois pièces, il faut reconnaître que le dispositif associé à l’événement était de taille. Ainsi, le billet pour le Triptyque comprenait des moments de restauration durant les pauses entre les pièces, et avec quelques 500 spectateurs, il valait mieux avoir prévu les choses en grand. D’abord un goûter, puis un dîner furent ainsi servis au public dans le hall et sur l’esplanade du théâtre, où de grandes tablées avaient été installées. Avec l’enchaînement de trois somptueuses pièces, ces moments de convivialité ont contribué à rendre cette journée mémorable. Elle le fut pour une autre raison. En effet, qui a assisté au Triptyque ne peut pas avoir oublié l’épreuve de la chaleur qu’il a fallu endurer ce jour là. Et pour cause, en ce début de période caniculaire sur la région lyonnaise, la panne de climatisation du théâtre a transformé ce dernier en sauna géant. Mais si le public a souffert de cette fournaise dans les gradins, les acteurs, sur scène, ont vécu bien pire, et leur endurance mérite une médaille. Soulignons à ce sujet le travail remarquable de l’équipe du théâtre de la Renaissance, qui a anticipé le problème et gérer la crise au mieux en fournissant un nombre illimité de bouteilles d’eau aux spectateurs.

Avec ces trois spectacles qui ne sont que les plus belles pièces d’un superbe ensemble, les Nuits de Fourvière nous ont prouvé, cette année encore, que le plus important festival lyonnais restait une référence. Vivement l’année prochaine.

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Yoann Clayeux

Fraichement débarqué dans l'association en 2014, passé par la rubrique Théâtre et la correction d'articles, avant d'occuper le poste de Rédacteur en chef pendant près de deux saisons, j'ai depuis cédé ma place pour revenir à l'écriture d'articles en dilettante.