Alban Vistel : le lyonnais résistant et éditeur de BD
BD

Et si l’on trouvait un personnage qui puisse à lui seul réunir une sorte de Louise Labé et un semblant de Jean Moulin ? Entre Littérature et Résistance ? Impossible me direz-vous ? Mais pas du tout ! Au détour de Alban Vistel, je vous propose de vous intéresser à ces deux facettes qui ont fait la réputation de Lyon.

Vous vous êtes déjà peut-être retrouvé sur la place Alban Vistel en vous baladant dans les rues de Lyon, sans pourtant savoir de qui il s’agissait. Alban Vistel fait partie de ces personnages peu connus (tout à fait caméléons), mais qui nous donnent néanmoins la possibilité, au travers de leurs parcours singuliers, de voyager dans le temps et dans l’Histoire. Alban Vistel lui nous accompagne de la libération de Lyon jusqu’à la création de LUG : maison d’édition spécialisée dans la BD !

De Lyon au Chili jusqu’à la débâcle de 40

Il semblerait qu’il soit impossible de vivre plusieurs vies en une seule (ou en tout cas c’est très difficile), mais c’est ce que Alban Vistel a pourtant fait : exilé au Chili, directeur d’usine de tannerie, commandant dans la Résistance, intellectuel et écrivain puis chef d’entreprise dans l’édition !

Alban Vistel naît à Annecy en 1905 (en vérité, il s’appelle Auguste). Il fait ses études au Lycée Ampère à Lyon puis s’ensuit des études de droits à la faculté ainsi qu’à l’école de chimie dont il sort ingénieur avec une spécialité tannerie. Celui-ci fait son service militaire au Maroc puis en 1929 part pour le Chili. Dans la capitale, il y dirige une tannerie mais y rencontre aussi sa femme, Louisa Elena, docteur en médecine. C’est dans ce même pays qu’il crée en avril 1933 un parti socialiste, aux côtés du futur président Chilien, Salvador Allende…

Le couple ayant eu écho des événements se déroulant en Europe, décident de retourner vivre en France. Une fois installés, Alban Vistel devient directeur de l’usine de chaussures Christian Pellet à Vienne.

Le temps de l’engagement politique

Alban Vistel est mobilisé au sein de l’armée en 1939 jusqu’à la défaite de l’armée française face à l’armée allemande en 1940. Suite à cet événement traumatique, il décide quelques mois après de s’engager dans la France Libre. Il écrit au général de Gaulle pour lui proposer une organisation de la Résistance et, dès le mois de septembre, commence à rédiger tracts et bulletins, à former des groupes de résistance dans la région de Vienne et à créer un mouvement local de Résistance : La Reconquête.

Dès l’été 1942, il est celui qui organise les premiers parachutages dans la région ainsi que les premiers groupes militaires. Cependant il est arrêté quelques temps après et détenu à la prison Saint-Paul à Lyon, condamné à 10 mois de réclusion. En septembre 1943 il s’évade grâce à l’action des Mouvements Unis de Résistance (MUR), constitués par Jean Moulin. À la suite de son évasion, il continue ses actions de manière tout à fait clandestine et est même nommé chef départemental des MUR puis régional en 1944.

Après la libération de Lyon, il prend ses fonctions à la Préfecture mais refuse cependant toute fonction politique. Il tente de développer le journal La Marseillaise, mais qui n’aboutit pas faute d’argent. De la même manière il tente d’ouvrir un commerce de fleurs, mais là aussi c’est un échec.

Lug(dunum) s’invite à Lyon

Cependant, c’est avec la complicité de Marcel Navarro que Alban Vistel parvient finalement à trouver le bon filon… En 1950 les deux acolytes créent une société d’édition de bande dessinée, LUG, basée au 10 Rue Bellecordière (ça ne s’invente pas, s’installer à cet endroit… et encore moins de s’appeler LUG d’ailleurs).

La maison d’édition se focalise en premier sur des adaptations de « pockets » italiens. Sont publiées par la suite des revues inédites : les éditions LUG proposent de nombreuses séries originales et proposent une large gamme de personnages : cow-boys, super-héros, magiciens et astronautes remplissent les étagères des jeunes Lyonnais… Puis vient le tour des fameux comics Marvel. Ainsi, si LUG participe au succès de BD comme : Blek, Kiwi, Mustang, Nevada, Ombrax… c’est principalement avec la série des Marvel, Strange, Fantask ou Spidey que la maison d’édition grossit.

En février 1969, les éditions LUG publient le premier numéro de Fantask avec en vedettes le surfer d’argent et les Quatre Fantastiques ! Cependant, la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à la jeunesse considère que la revue n’est pas adaptée aux jeunes lecteurs et que la publication de celle-ci est « extrêmement nocive » car contiendrait des récits « angoissants assortis de couleurs violentes »… Mais les éditions de s’arrêtent pas en si bon chemin car c’est en janvier 1970 que sort pour la première fois en France « Iron Man » dans le second numéro de Strange.

Les Marvel et autres comics confèrent à la maison d’édition un immense succès qui pousse la maison d’édition à déménager Rue Émile Zola, à côté de Place Bellecour. Malheureusement, c’est au milieu des années 80 que Alban Vistel tombe malade puis meurt, il s’agit d’un coup de grâce pour la maison d’édition qui est rachetée par l’éditeur suédois Sémic.

Il faudrait ici conclure par l’idée que Alban Vistel n’était pas simplement un chef d’entreprise ou un résistant mais bel et bien un humaniste (on est à Lyon en même temps). Il fonde la Cercle Tocqueville qui participe aux Assises de la Démocratie avec le club Jean Moulin, de Stéphane Hessel à la Croix-Rousse en 1964, dont le but est de donner une nouvelle impulsion à la gauche non-communiste. À une époque en crise, comme celle où se battait Alban Vistel, nous ne pouvons que rendre hommage à ces écrits, comme faisant d’eux-mêmes écho à notre propre époque : Alban Vistel, dans son ouvrage Héritage spirituel de la Résistance, définit celle-ci comme la « recherche de la conscience et son insubordination afin d’affirmer l’honneur individuel et de maintenir la dignité humaine ». Presque aussi fort que Iron Man !