Le Prix Kowalski, ou comment aborder la poésie d’aujourd’hui
Le prix Kowalski

Le prix Kowalski

La ville de Lyon offre depuis toujours de nombreux émerveillements aux amoureux de la littérature : auteurs, musées… mais aussi prix littéraires. En effet, la ville de Lyon récompense depuis plus d’une trentaine d’années les poètes francophones contemporains au travers du prix Roger Kowalski.

Je suis allée à la rencontre de Béatrice de Jurquet-Burgelin, poétesse elle-même, faisant partie du jury. Elle reçoit d’ailleurs en 2001 le prix Louise Labé pour son ouvrage Le Jardin des batailles. Autour d’un thé nous avons discuté du prix en lui-même, de ses évolutions. Mais le Prix Roger Kowalski permet au fur et à mesure de notre discussion de faire un état des lieux quant à la place de la poésie d’aujourd’hui.

Qu’est-ce que le Prix Roger Kowalski ?

Le Prix Roger Kowalski, ou Grand Prix de poésie de la ville de Lyon, est un prix littéraire français crée en 1984 par la municipalité de Lyon et qui chaque année récompense un poète vivant. Il rend hommage au poète Roger Kowalski (1934 – 1975) qui a vécu et écrit toute son œuvre à Lyon.

Les œuvres sélectionnées doivent être publiées entre le 1er octobre de l’année précédente et le 1er octobre de l’année en cours. Le prix peut récompenser des œuvres francophones venant du monde entier mais n’accepte que les œuvres inédites, c’est-à-dire pas de traductions. Au tout début du prix, les œuvres devaient être des manuscrits mais à partir de 2000 cela a changé.

Depuis 2014, le Prix Kowalski est également décerné par des lycéens de Lyon et de ses alentours. Le Prix Roger Kowalski est un des prix les plus prestigieux de France (avec le prix Mallarmé et Guillaume Apollinaire), mais est le mieux doté, car le lauréat reçoit 7500 euros. En décembre de cette année, le jury a choisi de récompenser François Boddaert pour Bataille (mes satires cyclothymiques), Tarabuste Editions, 2015.

Certains jurés du prix ont eux-mêmes reçu le Prix Kowalski avant d’intégrer ce poste. Les autres jurés sont pour la plupart poètes ou critiques. Certains jurés viennent de Paris et œuvrent pour d’autres prix de poésie (mais on se doute bien que c’est plus sympa à Lyon…).

Comment se déroule-t-il ?

Il y a plusieurs paliers avant la remise du prix. Premièrement, ce sont les jurés qui, à la rentrée de septembre, proposent chacun plusieurs ouvrages, de 60 pages maximum. Puis, un groupe de 6 jurés se rassemble pour procéder à une présélection de 7 ouvrages. Les membres qui composent ce premier groupe ont des préférences et des sensibilités très différentes, de manière à garder une certaine ouverture au niveau des choix.

Après cette présélection, le secrétaire du prix Kowalski demande à l’éditeur de chaque ouvrage de faire parvenir un exemplaire à chacun des jurés. Le prix est discuté début décembre, non sans « castagne », comme me le fait remarquer Béatrice de Jurquet-Burgelin en riant. Pour elle, c’est ce moment précis qui est le plus intéressant, celui de la discussion, de l’argumentation. Elle me confie qu’à son avis, la radicalité est beaucoup plus exacerbée en poésie que pour les autres genres de la littérature, plus que pour le roman en tout cas.

Le Prix Kowalski, depuis 2014, est également décerné par les lycéens qui doivent lire les mêmes ouvrages que le jury. Une belle initiative que l’on ne peut que saluer alors que la poésie vient à manquer dans notre quotidien. C’est à partir de ce moment-là de notre discussion que nous plongeons dans une autre dimension de la poésie. En effet, du prix Kowalski nous dérivons pour nous poser la question du rapport que nous entretenons aujourd’hui avec la poésie.

Rien de (très) nouveau sous l’égide de l’éducation nationale ?

Le prix permet à des lycéens de s’informer sur ce qu’il se fait aujourd’hui en termes de poésie. Le Prix Kowalski met l’accent sur l’importance du partage et de la nécessité d’actualiser la poésie. La poésie n’est plus seulement à leurs yeux, me semble-t-il, une feuille simple distribuée en cours, un poème de Baudelaire ou d’Eluard. Il y a aujourd’hui selon Béatrice de Jurquet-Burgelin un problème criant au niveau de l’enseignement de la poésie. La poésie se résume aux mêmes auteurs, aux mêmes poèmes, de telle manière qu’aujourd’hui la culture poétique d’un jeune est très pauvre.

On peut se demander comment en est-on arrivé ici. Si les élèves n’aiment pas ou peu la poésie, le problème se ressent aussi chez les professeurs. La poésie peut sembler être l’un des genres les plus complexes (et l’est très sûrement), et donc élitiste, difficile à appréhender, à lire, à expliquer… De ce fait, les professeurs semblent de moins en moins apprécier l’enseigner et s’engouffrent dans le classique voire dans le bateau. Le genre de la poésie est un genre si codifié qu’il peut sembler affolant d’étudier ce qui a été dit à son sujet.

Pour Béatrice de Jurquet-Burgelin il est primordial, voire essentiel, de revenir à un apprentissage de la poésie qui se ferait selon une réception presque vierge de toute théorie, idéologie de telle manière à privilégier un ressenti pur. Mais comment parvenir à retrouver ce lien originel avec la poésie dans un monde qui est de plus en plus dénué de poésie ?

Comment ça va du côté de chez la poésie ?

Ce qui semble effrayer Béatrice de Jurquet-Burgelin est le problème relatif à la perte de vocabulaire. Notre rapport à la langue se fait de plus en plus superficiel, tout est abrégé pour gagner en rapidité et en efficacité. Cependant, chaque mot nouveau est une fenêtre sur le monde, il nous permet de développer notre pensée ainsi que notre rapport intérieur et extérieur au monde, et comme le fait si bien remarquer Béatrice de Jurquet-Burgelin, quand il n’y a plus de mots, la violence fait place.

De la même manière, celle-ci note la perte d’éloquence dans tous les domaines mais surtout dans le domaine des discours (le fameux « casse-toi pauvre con » de Mr. Sarkozy ne compte pas, non…). Fut une époque où les hommes politiques, mais aussi philosophes, intellectuels ou autres, s’adressaient à leurs interlocuteurs de manière beaucoup plus élaborée, rythmée et imagée, ce qui nous renvoie tout de suite à la poésie. Il est pourtant primordial de garder ce rapport oral à la poésie. Il est très rare qu’un professeur fasse à voix haute la lecture d’un poème, celui-ci se contente la plupart du temps de dire « lisez le poème en silence ». C’est notamment à ce moment que nous perdons une grande partie du plaisir que renferme la lecture d’un poème.

Mais heureusement pour Béatrice de Jurquet-Burgelin, tout ne semble pas perdu. En effet, elle me fait remarquer le lien étroit entre la poésie et le rap. Elle ne doute pas que le rap puisse être une sorte de « substitut » à la poésie et se réjouit du fait que certains auteurs puissent s’inscrire dans un héritage poétique.

En sortant de chez Béatrice de Jurquet-Burgelin, je n’ai eu qu’une envie, me jeter sur le premier livre de poésie qui passait et j’espère bien que la lecture de cet article vous aura donné envie d’en faire de même.