La La Land, un hommage en demi-teinte à l’Âge d’Or de Hollywood

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Samedi 21 janvier avait lieu, dans le cadre du Festival Télérama, l’avant-première du très attendu La La Land de Damien Chazelle. À cheval entre un héritage fort de la comédie musicale américaine et une modernité revendiquée, La La Land nous a autant déçu que charmé.

(Cet article contient une quantité absolument indécente de spoiler, par pitié abstenez-vous. Pour toutes réclamations je vous invite à contacter ma direction, ma secrétaire ou ma grand-mère, ça lui fera plaisir !)

Après Whiplash son premier long métrage musical sur les déboires d’un jeune batteur de jazz victime du sadisme de son professeur, Damien Chazelle relève le défi de la comédie musicale. En effet, le scénario du film se conforme à toute bonnes comédies musicales. Mia, jeune serveuse qui rêve de cinéma croise la route de Sébastian, pianiste de jazz qui peine à joindre les deux bouts. Ensemble, ils vont essayer d’accomplir leur rêve, celui d’être reconnu dans leur passion respective.

De Whiplash à La La Land

Damien Chazelle frappait fort en 2014 avec Whiplash, un deuxième long métrage furieux ( après le très jazzy Madeline on a park bench) sur les rêves de gloire d’un étudiant en musique au prestigieux Shaffer Conservatory de New York. Ce qui est présent dans Whiplash et que l’on retrouve (malheureusement pas toujours de manière égale) dans La La Land, c’est ce désir de Chazelle de créer une rythmique du montage et du plan. En effet, dans Whiplash, les choix de montage et le rythme des enchaînements étaient clairement guidés par une volonté de traduire visuellement le rythme musical par l’image.

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Dans La La Land, Damien Chazelle fait souvent le choix d’une caméra extrêmement mobile et du plan long. Ce choix s’avère particulièrement pertinent dans sa spectaculaire ouverture. Aux premières notes de piano répond un long travelling qui embrasse une nationale encombrée de voiture à l’arrêt. La caméra s’arrête alors sur une jeune femme qui se met à scander le rythme de la musique, elle descend de sa voiture, nous fait entrer dans le film. Comme Gene Kelly chantonnant au rythme des gouttes de pluie pour nous faire entrer dans le numéro de Singing in the rain. Ensuite d’autres conducteurs sortent successivement de leurs voitures et c’est un brillant numéro de danse de groupe qui se déroule sous nos yeux.

L’image et le rythme

Le plan long donne ici lieu à une scène d’ouverture jouissive qui met en valeur rythme musical, couleur et chorégraphie à la fois. Néanmoins, son usage fait sentir ses limites lorsque le réalisateur l’utilise hors des numéros de danse. En effet, La La Land joue un peu trop de cette spectacularisation des mouvements qui vise à nous immerger dans le film au détriment d’une construction du cadre.

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Le décor et les couleurs sont des aspects fondamentaux de la comédie musicale. Et justement, le travail somptueux de la couleur dans La La Land aurait surement mérité un cadre moins mobile qui nous laisse le temps de contempler le décor et d’admirer le placement des personnages en son sein.

L’art de la transition

Dans son ouvrage La Comédie Musicale, Michel Chion nous rappelle que le génie de la comédie musicale repose sur une subtilité de la transition entre numéro et film. Tout l’enjeu est de nous faire passer en douceur «  entre le monde où l’on parle et bouge et celui où l’on chante et où l’on danse ». On peut déplorer que des transitions trop abruptes cassent parfois le rythme. Mais certains numéros s’y conforment avec brio.

Du rêve à la réalité

La chanson A Lovely Night, sublime hommage au numéro Dancing in the Dark de The Band Wagon de Minelli, en est un bel exemple. Sur une route des montagnes de Hollywood, dans un clair de lune violine qui nous évoque le parc où Fred Astaire et Cyd Charisse parvienne enfin à danser ensemble, Mia et Sebastian cherchent leurs voitures. Sebastian se met alors à fredonner une chanson évoquant ironiquement le fait que ce clair de lune n’est pas fait pour eux.

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Si Fred Astaire et Cyd Charisse ont trouvé comment accorder leurs pas au clair de lune, il prévient sa partenaire qu’il n’en sera rien d’eux. La réponse de Mia entraîne le couple dans un jeu de provocation gestuelle et de claquette directement inspiré de Gene Kelly et Fred Astaire. La sortie du numéro de danse s’effectue subtilement, le bruit de la voiture de Mia interrompant le couple qui se sépare.

Filmer l’ Hollywood aujourd’hui à travers hier

La La Land est à la fois une comédie musicale et un film sur le monde du cinéma et de la musique. Et le fil conducteur entre ces deux univers réside dans le conflit entre modernité et permanence de l’American Dream. Mia et Sebastian tentent de poursuivre leur idéal mais sont perpétuellement rattrapés par un pessimisme intrinsèquement moderne. Mia admiratrice d’Ingrid Bergman et nourrie de comédies américaines abandonne son rêve d’actrice pour monter un One-woman Show. Quant à Sebastian, il finit par abandonner le rêve de faire vivre le jazz en montant son propre jazz club, et devient le clavier d’un groupe d’électro à succès.

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Traditionnellement, les hauts et les bas dans la comédie musicale américaine sont la condition d’une transcendance qui pousse les personnages vers le succès. Or, Mia et Sébastian se construisent avec cette peur de l’échec terriblement moderne qui les dévorera jusqu’à la toute fin du film. Cette nouvelle psychologie du personnage se traduit par une dialectique du doute et de l’abandon qui surpasse le rêve. Alors que Sebastian revient chercher Mia, rentrée chez ses parents pour reprendre ses études, elle lui explique qu’elle a décidé de « grandir ». C’est à travers cette question que Damien Chazelle remet en cause le pessimisme de la modernité : Qu’allons-nous faire, nous spectateur si même les personnages de comédie musicale ne rêvent plus ?

Le couple , emblème de la comédie musicale

Rick Altman dans son ouvrage La comédie musicale Hollywoodienne rappelle que le couple est un des éléments fondateurs de la comédie musicale. Or, La La Land n’est jamais aussi réussi et percutant que lorsque Chazelle construit son film contre le couple.

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Dès le début du film, le réalisateur joue avec nos attentes de spectateurs. En effet, en bons amoureux des comédies musicales que nous sommes , on ne peut s’empêcher de se conformer à ce code. Or, c’est subtilement que la mise en scène de Chazelle va petit à petit déconstruire ce mythe du couple. Et le son va tenir une place importante dans cette mise en scène de la séparation. Le klaxon exaspéré de Sebastian qui la double alors qu’elle le bloque en voiture au tout début du film, le crépitement de la pellicule du film (La Fureur de Vivre) qui s’enflamme et interrompt leur premier baiser, l’alarme à incendie qui marque la sortie de Mia après la dispute qui entérine leur séparation. C’est comme si l’esthétique du chant et de la danse ne cessait de vouloir conjurer la disharmonie du couple marquée par les bruits parasites.

Sacrifier l’autre pour soi

La dernière scène du film nous impose ce déchirant constat. Mia parvient à réaliser son rêve grâce à Sebastian mais tout deux sont séparés. Actrice reconnue, elle mène une vie de famille rangée avec son mari et sa petite fille. Alors qu’elle sort avec son époux celui-ci l’entraine dans un jazz club, celui de Sebastian. La mélodie qu’il rejoue pour elle, celle qui l’avait fait rentrer dans le bar où il travaillait au début du film, donne lieu à un final bouleversant. Ainsi, sur un thème qui retrace toutes les mélodies du film, Mia imagine ce qu’aurait pu être leur vie ensemble.

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Ici Chazelle fait le choix d’abandonner le plan long au profit d’un enchaînement de tableaux magnifiques, d’une mise en cadre travaillées qui magnifie le couple. Et c’est non sans rappeler avec brio Un Américain à Paris que cette séquence de rêve met profondément en valeur les décors, les mouvements, la couleur et la texture de l’image (Mia rêve sa vie de famille avec Sebastian en Super 8). Ici tous les regrets de Mia s’expriment dans cette séquence qui fait état d’un bonheur amer du personnage.

Ainsi les derniers plans contiennent en eux même le principe du questionnement du film sur la modernité. Alors que dans le Hollywood de l’Âge d’Or de la comédie musicale l’amour magnifie le succès, dans le Hollywood aujourd’hui les rêve poussent à abandonner celui ou celle qu’on aime. Ainsi, le dernier regard échangé entre Sebastian et Mia alors que celle-ci quitte le Club, regard de tendresse et de résignation, pousse le spectateur à croire en ce rêve Hollywoodien que ces derniers ont abandonné…

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Laurine Labourier