« Corps Rebelles » aux Confluences : une obscure exposition
Corps rebelles
Corps rebelles
« Corps Rebelles »

Le Musée des Confluences a lancé une exposition aux fins très louables : faire découvrir la danse contemporaine avec « Corps Rebelles ». L’exposition du Musée des Confluences est élaborée d’après un concept du Musée de la civilisation de Québec, avec la participation de Moment Factory, un studio de divertissement multimédia. Elle se visite jusqu’au 5 mars 2017. Si le but de l’exposition est tout à fait honorable, il ne semble pas être atteint, et de loin. Retour donc sur un rendez-vous manqué avec la danse contemporaine.

Précision : n’étant pas spécialiste de la danse, nous nous concentrerons sur l’exposition, sa muséographie et sa philosophie.

Une exposition de danse ? Comment est-ce possible ?

Le choix des créateurs de l’exposition s’est fondé principalement sur les écrans. Dans une grande salle plongée dans le noir, deux dispositifs cohabitent. D’une part le long des murs, des télévisions proposent des séries d’extraits de danses, parfois agrémentés de quelques photos. De brefs commentaires écrits sur les murs donnent une thématique générale autour du corps. Au centre, des panneaux, par groupes de trois, forment des espaces dans lesquels sont projetées des interviews de chorégraphes et leurs performances. Bref la scénographie de l’exposition n’est pas très claire, et ne propose aucun parcours au spectateur qui erre perdu au milieu des écrans.

Une overdose de technologie

Soyons clairs : le dispositif technologique de « Corps rebelles » fonctionne plutôt bien. Pour avoir la musique qui correspond à l’écran que vous contemplez, vous disposez d’un casque avec boitier. Quand vous vous approchez, comme par magie, le son vous parvient sans efforts. Magnifique technologie ? Il faut oser dire non. Si le dispositif fonctionne et permet d’écouter sans embêter le voisin de l’écran d’à côté, il condamne le spectateur à une déambulation solitaire. Se passer de la musique semble absurde. Mais pourquoi l’expérience d’une exposition devrait-elle être une expérience solitaire ?

Vue d'ensemble des écrans de l'exposition.
Vue d’ensemble des écrans de l’exposition.

Le problème de la solitude dans l’exposition n’est pas l’unique question posée par la technologie. Il faut aussi dénoncer cette overdose d’écrans qui nous entourent. En caricaturant, comme tout se passe sur des écrans, il serait tout à fait possible de compiler ces extraits et de les regarder chez soi. La différence ne serait pas grande : une expérience solitaire loin de la lumière du jour. C’est un choix de scénographie qui pose problème, surtout quand on est face à un art vivant. C’est même la difficulté, et, il faut le reconnaître, l’audace d’une exposition sur la danse. Pour autant, le support photographique aurait été l’occasion de s’arrêter sur un mouvement, et il n’est que très peu utilisé. Il y a un manque de variété des supports, qui auraient pu passer par des costumes, ou des croquis. C’est un grand paradoxe : exposition d’art vivant, « Corps Rebelles » se réfugie dans un virtuel permanent, derrière l’écran

Une expérience paradoxale

L’expérience de « Corps Rebelles » devient vite paradoxale : spectateur attentif mais solitaire, on se retrouve coincé devant des écrans. Pour certaines thématiques, il peut y avoir jusqu’à six extraits plus ou moins longs qui s’enchaînent. Donc on s’assied, et on regarde. Longtemps. Et on se lasse, rapidement. Pour une exposition d’art vivant, le spectateur est étrangement passif. Au bout d’une heure et demie à tout regarder et tout écouter, pour ne pas en perdre une miette, on finit par passer, et ne plus regarder. Les interviews sont trop longues, surtout quand on ne comprend pas ce que dit le chorégraphe. Finalement, le « corps rebelle » devient celui du spectateur qui n’en peut plus de rester assis devant la télévision.

Interview et Performance de Louise Lecavalier
Interview et Performance de Louise Lecavalier

Une découverte sans pédagogie

L’exposition veut faire découvrir la danse contemporaine. L’intention est un bon point de départ mais elle bute immédiatement sur un obstacle essentiel, celui d’une pédagogie. Car le péché originel est là : la danse contemporaine est méconnue, voire méprisée, souvent parce qu’elle n’est pas comprise. Or « Corps Rebelles » perpétue totalement ce défaut. Le seul texte de l’exposition n’explique rien du tout. La seule voix-off est celle démontrant en quoi Lyon est la capitale de la danse, avec des allures de propagande. Bref, aucune explication. Cela devient très problématique, surtout quand on propose une danse politique.

Qu’est-ce qu’une danse politique ?

La réponse n’est pas donnée pendant la visite. Car devant ce qu’on appelle une danse politique, deux questions se posent : tout d’abord, en quoi cette danse, qui n’est que mouvements en rythme sur une musique, est-elle politique ? C’est essentiel lorsque l’on présente la Table Verte, interprétée par Kurt Jooss au Folkwangballet en 1932, comme une danse annonçant l’oppression nazie. En quoi cette interprétation est-elle politique, alors même qu’il s’agit d’un homme seul sur scène, en tout cas dans l’extrait donné ? Il en est de même avec May B., chorégraphie de Maguy Marin, en 1981, qui prend son sens politique, pour ceux qui ne connaissent pas la danse, uniquement grâce au rapprochement qu’on peut en faire des univers beckettiens. Mais encore faut-il connaître Beckett.

La deuxième question que l’on est en droit de se poser, c’est pourquoi cette danse est plus politique qu’une autre ? Car dans le rapport au corps, toute danse est politique, puisqu’elle est expression d’un pouvoir sur son propre corps. La danse, en général, dépassant le cadre contemporain, est un pouvoir du corps qui exprime, parfois avec violence, son propos. Dans ce cas, l’exposition « Corps Rebelles » parle d’une danse qui adopte un objectif politique dans le sens le plus strict du terme qui est celui d’une revendication politique.

Un corps rebelle absent

Le problème, donc, est que ces questions ne sont pas résolues, et que les pistes de réflexion, que nous lançons ici, ne sont pas abordées. Finalement, c’est même le rapport au corps en général qui est évacué. Car si l’on considère l’exposition dans son ensemble, elle ne pose jamais la question du corps dit « rebelle ». En quoi le corps est-il rebelle même quand il est « virtuose » ? En quoi l’est-il quand il est « vulnérable » ? Pire, en quoi l’est-il quand il est « d’ailleurs » ? Autant de questions que l’on peut poser avec le titre « Corps Rebelles », abandonné au sein même de l’exposition qu’il dénomme.

Le seul corps vraiment intéressant, qui pose la question de la chair dans la danse, est le « corps vulnérable ». C’est sûrement la section la plus intéressante et la plus cohérente. Notamment grâce aux danses « The Cost of Living » de Lloyd Newson pour le DV8 Physical Theater en 2001, et « Magma » de Boris Charmatz, interprétée en 1997 en France. Ces deux danses sont celles qui provoquent le plus d’émotions dans l’exposition, et ce parce qu’elles posent la question du corps, et du corps « rebelle » car échappant à la norme.

Le Sacre du Printemps, ou la mise en musée ratée

La présentation de l’exposition promet, comme paroxysme, la comparaison de plusieurs mises en scène contemporaines du Sacre du Printemps de Stravinsky en 1913. Or nous sommes dans le même dispositif, mais exacerbé : il faut se faufiler (au point que l’on peut hésiter à entrer en croyant qu’on n’en a pas le droit) dans un cercle de nombreux écrans. La musique s’active dans le casque. Problème : à quel écran correspond-elle ? Aucune explication. On se retrouve à regarder un écran, qui n’est peut-être pas le bon tellement il y a un décalage entre la musique et la danse. Alors on recherche le bon. On s’agace et on laisse tomber. Plusieurs mises en scène qui se mélangent, et parfois tous les écrans montrent la même image puis se séparent pour retourner à leurs mises en scène respectives. On est abreuvé d’images de danse, certes belles, mais dans une telle abondance absurde que l’on finit par ressortir sans avoir compris ce que l’on a vu.

« Le Studio » : un effort timide

Les créateurs de l’exposition ont tout de même réussi à intégrer un espace de pratique de la danse, à côté de l’exposition, présenté ainsi :

[su_quote cite= »Musée des Confluences » class= »http://www.museedesconfluences.fr/fr/evenements/corps-rebelles »]Le studio | Participez à un atelier de danse intitulé Danser Joe, créé par Moment Factory, ou rencontrez des chorégraphes et danseurs professionnels pour des résidences proposées en collaboration avec la Maison et la Biennale de la danse.[/su_quote]

Ici, on passe de l’extrême solitude de l’exposition à la pratique de la danse au milieu d’inconnus. Pourquoi ne pas essayer de danser ? Mais les timides, dont j’ai fait partie, n’oseront peut-être jamais, surtout venus seuls. Alors pourquoi ne pas observer une résidence de création ? Faut-il arriver au bon moment ? Bref au milieu des écrans, des corps virtuels, le studio est une belle tentative de revenir au spectacle d’art vivant, si l’on n’est pas trop timide, et si l’on est au bon endroit au bon moment.

Bref, une obscure exposition…

« Corps Rebelles » est une obscure exposition dans tous les sens du mot. Obscure parce que l’on passe son temps seul dans le noir. Et obscure parce que les amateurs non-connaisseurs resteront dans l’obscurité d’un art complexe qui demande à être vulgarisé pour ensuite être apprécié. Enfin, obscure parce que le corps, qui aurait dû être mis en lumière, reste dans l’ombre.

Critique du "Sacre du Printemps" au théâtre des Champs-Elysées en 1913
Critique du Sacre du Printemps au théâtre des Champs-Elysées en 1913, paradoxalement, c’est ce que le spectateur peut continuer à penser à la sortie de l’exposition lorsqu’il ne connaît pas la danse contemporaine.