Coups de théâtre 2017, ce qui nous attend
coups de théâtre

Les 21ème rencontres Coups de Théâtre seront lancées en avril 2017 : durant dix jours s’enchaîneront neuf spectacles de théâtre étudiant, neuf propositions uniques et aux antipodes les unes des autres. On a rencontré pour vous les équipes de chaque projet, pour tenter d’en savoir plus sur ce qui nous attend pendant ce marathon de représentations. Et on peut vous assurer qu’il y aura des surprises !

Petit rappel : Coups de théâtre, c’est avant tout un dispositif proposé chaque année par le service culturel de l’Université Lyon II, qui se donne pour mission de promouvoir le théâtre étudiant. Cette année, c’est la 21ème édition, et neuf projets ont été retenus. Des groupes informels ou troupes associatives étudiantes se sont présentés aux auditions de janvier, avec un projet original ou une mise en scène d’un texte préexistant : l’avantage à Coups de théâtre, c’est que toutes les formes ont leur place, car c’est un espace d’expression dédié aux étudiants dont la formation est principalement théorique. Rencontrer les équipes et porteurs de projets est l’occasion de découvrir leurs créations, leurs personnalités, l’idée du théâtre qu’ils défendent, et leurs objectifs. On rappelle au passage que toutes les représentations de Coups de théâtre sont gratuites à ouvertes à tous, ils nous attendent nombreux !

 

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24 avril : Cendrillon

La saison va s’ouvrir sur un texte de Joël Pommerat, Cendrillon, mis en scène en duo par Pauline Tanca et Clara Sandoz. Une version bien plus rock que le conte traditionnel : cette Cendrillon n’a plus rien de la princesse rêveuse ou de la Cosette en aillons. A la mort de sa mère, Sandra interprète mal ses derniers mots : son imagination la conduira alors à survivre dans un monde qui lui est hostile, au sein d’une aventure initiatique. Croyant qu’elle fera mourir sa mère « pour de vrai » si elle oublie de penser à elle pendant plus de cinq minutes, Sandra, flanquée d’une énorme montre, s’inflige bien des souffrances. Dans cette version-là, la fée fume des clopes et c’est la maison qui est en verre : tout n’est que subversion chez Pommerat. Un texte frais, qui traite du rapport à la mort, de l’imagination confrontée au réel, de l’enfance et du monde des adultes, aussi.

Clara et Pauline vont voulu créer un univers sombre et magique, porté sur l’imaginaire de l’enfant. Sandra évoluera dans un monde différent que celui des personnages adultes : « nous sommes parties du point de vue de l’enfant, plus que de celui des adultes » me dit Clara. Car il suffit d’une phrase comprise de travers pour que Sandra se construise tout un univers … A la lecture, le texte de Pommerat peut paraître simple. Mais Pauline et Clara ont été attirées par ce qu’elles appellent cette « fausse simplicité » : le texte est plus inhabituel, structuré et original qu’il n’y paraît, si on lit entre les lignes …

Elles sont parties d’un univers sombre et du cirque noir, qui s’est progressivement transformé en un monde onirique, poussé par la musique. Tantôt douce berceuse, tantôt vieux rock des années ’60. Les lumières et les couleurs, elles, dévoilent et cachent à la fois : Pauline et Clara voulaient jouer sur le côté cinéma. Pour cela, elles ont utilisé au maximum les ressources premières du théâtre, dont le corps, à travers les pantomimes. Le tout sous une esthétique qu’elles qualifient de « sombre et étrange ». Il faut savoir que l’envie de monter ce projet est partie à la fois d’un coup de cœur et d’une frustration : la mise en scène signée Joël Pommerat les a laissées sur leur faim. Elles ont choisi d’aller plus loin dans l’étrangeté, le mystère et le rêve, de jouer sur le réel et l’irréel pour faire véritablement entrer les spectateurs dans une histoire.

Le jeu, point central de leur mise en scène : elles ont fait confiance aux comédien.ne.s pour endosser des personnages déconnectés, inhabituels et difficiles à visualiser. Sandra, la belle-mère, le prince, le roi, les sœurs … tous s’éloignent à la fois d’un « ordinaire réaliste », mais aussi d’un « ordinaire du théâtre ». Chez Pommerat, tout est toujours en contradiction. Il fallait donc que les comédiens « aident des figures types » précise Pauline. Elles sont alors parties des subjectivités des acteurs pour trouver l’histoire des personnages : ainsi, chaque personnalité a participé à l’élaboration du rôle.

Cette Cendrillon nous proposera une illusion décalée, sans message mais bourrée de questionnements essentiels sur nos relations à l’autre. Pauline Tanca et Clara Sandoz ont réalisé une création qu’elles pourront toujours « pousser plus loin » pour transporter les spectateurs, leur faire passer un beau moment de théâtre, mais surtout leur procurer  « frissons et émotions ».

19h –  Amphithéâtre culturel, campus Porte des Alpes – Bron.

                                                                  (c) DR

25 avril : Clôture de l’amour

C’est avec un texte de Pascal Rambert que la compagnie Continuum a choisi de participer à Coups de théâtre. Formée en 2015, elle a déjà monté 4.48 Psychose de Sarah Kane et Et les poissons partirent combattre les hommes d’après Angélica Liddell et Sylvia Plath. Après une pièce tournée vers l’intime et une proposition plus politique, la compagnie se lance cette année dans Clôture de l’amour, pièce de 2011, que Rambert a écrite pour Audrey Bonnet et Stanislas Nordey. Cette proximité entre l’être et son personnage, cette confusion du rôle et de soi, les metteurs en scène Marcos Caramés et Lucas Faulong ont tenu à la garder intacte. Ainsi, Pierre Mas sera Pierre, et Julie Clugery sera Julie : si les intimités du texte ne sont pas les leurs, « c’est Pierre, et c’est Julie, dans le présent ».

Clôture de l’amour, c’est d’abord la rupture d’un couple. Dans une première tirade de cinquante minutes, Pierre annonce la rupture, puis, Julie prend son droit de réponse pendant la même durée. Il n’y a pas de dialogue entre eux : mais un énoncé, brutal, douloureux, et une réponse, des nuances. Selon Marcos, ce n’est pas « le portrait d’un couple, mais l’étude de ce qu’est une rupture », le public est confronté in medias res à la disjonction, où le souvenir et la mémoire confrontent le présent. Pierre quitte Julie, qui elle, exige son droit de réponse, de rétablir sa vérité. Ce serait, selon Marcos, « presque une scène tribunal, dans une tentative d’anéantir l’autre ». La cruauté se retrouve dans l’écriture de Rambert, dans une langue très quotidienne, mais qui cherchera toujours « le mot qui fera mal ». Julie Clugery résume le non-dialogue des personnages comme « une façon pour eux de se protéger, parce qu’attaquer l’autre, c’est s’en sortir ».

Marcos et Lucas ont un parti-pris très fort, celui de baser la représentation sur l’espace. La compagnie espère jouer la pièce en appartement, puis en extérieur, car l’espace transformera la réception des acteurs, et du public. Au cours des répétitions, l’espace s’est dessiné comme essentiel dans la réception des corps : puisque Pierre est Pierre et que Julie est Julie, ils sont toujours placés dans un état de réception de l’autre, si bien qu’on ne sait pas s’ils sont « des acteurs en répétition ». La notion de rôle est évidemment troublée, une façon pour Marcos d’alerter le public quant à l’investissement des acteurs : « Méfiez-vous, la pièce peut être un premier comme au millième degré ».

Sur scène, il n’y a que les corps : pas de costumes, pas d’éléments de scénographie, très peu de lumière. Ce qui compte d’après Pierre, c’est « l’impact visible de la parole sur les corps », car, en tant qu’acteur, l’énergie dégagée est forcément immense. L’autre devra la recevoir dans le présent, les deux metteurs en scène ayant fait le choix de ne pas fixer le corps. Avec un travail axé sur l’accumulation et l’affaiblissement, ils cherchent « quelque chose au présent », pour assumer le corps jusqu’au bout. Julie me dit qu’elle ne sait pas comment son corps réagira, le 25 avril. Ni comment ses réactions seront transformées selon l’espace. « C’est l’écoute qui déterminera comment le corps réagira ». Immédiatement, je pense à l’engagement de l’acteur et à l’état dans lequel il est plongé : selon Pierre et Julie, ne pas avoir de corps écrit est à la fois jouissif et terrifiant, mais cela permet une redécouverte perpétuelle du texte, de l’autre et de soi. Pourtant, Marcos et Lucas étaient dubitatifs quant au jeu très investi où les acteurs sont dans une part de ressenti : selon eux, la pièce est aussi dans une forme de distance, par la situation. Pierre et Julie ne se soucient jamais des spectateurs, et pour Marcos, « aller jusqu’au bout de cette proposition, c’est aussi une manière de trahir ce jeu-là ».

Continuum entend réaliser « une expérience », et ne prévoit pas ce qui se passera à l’instant T, sur scène comme dans la salle. Une proposition certainement surprenante, libre et vertigineuse, pour le public, comme pour ceux qui tirent les ficelles …

12h30 puis 19h, Salle polyvalente de la Maison des Étudiants – Campus Porte des Alpes – Bron.

                                        (c) Compagnie Continuum

26 avril : L’éveil du printemps, tragédie enfantine

Les rencontres se poursuivront avec une mise en scène de L’éveil du printemps, par le collectif D’Terre (dont on salue le nom, au passage). Porté par l’initiative de Manon Andréo, le projet a raflé la participation de la bonne moitié de la promo L3 arts du spectacle ! Comédien.ne.s, costumières, scénographes, musicien, regard chorégraphique, et metteuse en scène, se sont ralliés autour du texte de Frank Wedekind, écrit en 1890. L’ancienneté vous étonne ? D’après eux, le texte a pourtant tout d’actuel. L’occasion d’aborder des thèmes précieux, intemporels, vécus ici par une jeunesse allemande à la fin du 19ème siècle. On y parle de l’éveil de la sexualité, de la rencontre avec l’altérité, de la peur de l’avenir, de l’implosion des cadres religieux et familiaux. Des échanges rudes et poétiques entre élèves, parents et professeurs, et l’occasion pour Wedekind de confronter les générations. Une pièce transgressive et censurée en 1890, qui a notamment fasciné Brecht ( il dira : Wedekind est le grand éducateur de l’Europe moderne) ou encore Freud. L’expressionnisme s’y fait violent, brûlant, et le romantisme allemand y déploie toute sa force poétique.

Melchior, Moritz et Wendla, tous trois 14 ans, se posent des questions existentielles, scolaires, sexuelles. D’après Manon, la metteuse en scène, « ce qui est intéressant, c’est le refus d’écouter de la part des adultes ». Car l’inaction d’une génération peut tuer la suivante. Si les actes sont plus suggérés que nommés, et que rien n’est évident à la lecture, le collectif D’Terre a posé des images et des corps sur les mots. L’élément central : la terre, qui envahit l’espace et les corps. Cette matière naturelle intéresse le collectif en tant qu’elle est un symbole des premières pulsions. Pas d’esthétique réaliste : la scène fonctionne comme un symbole, où scénographie, costumes et lumières ont été guidés par la même pensée. L’Allemagne de 1890 est étrangère, dans le temps et les mœurs, au public actuel. Ils ont préféré décontextualiser la pièce, pour la mettre « dans un hors-temps ». Une façon pour la troupe d’aller à l’universel.

« Dans chaque scène, il y a un élément comique, même si la pièce est tragique » me dit Mégane (Moritz). Alors, nous allons rire ? Pas si sûr. Le but de L’éveil du printemps, c’est aussi de bousculer les certitudes. Manon a tenu à porter sur scène un propos, une pensée, car pour elle, « le théâtre est un moyen politique au sens large », capable de faire circuler des idées et poser les questions qui deviennent nécessaires. L’occasion de pointer cette extrême liberté dans laquelle nous évoluons, où la libération devient la norme, jusqu’à prendre les allures d’une nouvelle aliénation. L’interdit et le tabou sont déplacés, mais jamais vraiment éradiqués : le collectif assume, par une esthétique du montage, d’avoir une parole qui interroge, et qui ramène le texte sous l’angle de notre époque et de notre condition.

Le collectif est traversé par les questions féministes, et a tenu à les aborder, même à travers le texte de Wedekind où la sexualité masculine est traitée majoritairement, là où la féminine est encore un point mystique. Par exemple, Moritz et Melchior sont joués par des femmes, Megan et Emma, et Wendla interprétée par Angélique, agenre. Le reste de la distribution ne s’attache pas non plus au genre mais plutôt à la personnalité des comédiens, la pièce gagne ainsi en sens, percute les certitudes jusqu’à les déplacer. « Et si on s’en fichait des genres ? » : un bel exemple de dramaturgie créée par la mise en scène.

A 17 ans, Manon vivait l’une de ses premières expériences de théâtre. L’éveil du printemps, mis en scène par Omar Porras : depuis, ce texte ne l’a jamais vraiment quittée. Impressionnée par son intemporalité, elle voulait à son tour réaliser l’exercice difficile de transmettre, à une salle entière, des questionnements fondamentaux. Alors, pour ressentir le plaisir unique de faire du théâtre ensemble, le collectif, porté par son énergie utopique selon Manon, se prépare à jouer son éveil hors cadre de Coups de théâtre : d’abord en Ardèche puis, qui sait, ailleurs à Lyon … En attendant, ils nous feront vivre un moment drôle, percutant, envoûtant mais surtout, ils viendront bousculer les acquis …

19h – Amphithéâtre Culturel, Campus Porte des Alpes – Bron

                                                        (c) Collectif D’Terre

27 avril : Un obus dans le cœur

Monologue de Wajdi Mouawad, Un obus dans le cœur est porté à la scène par Rémy Ledentu et mis en scène par Clément Bigot. Un texte coup de poing d’une heure quarante, un récit initiatique autour du personnage de Wahab qui va traverser la ville pour rejoindre l’hôpital où sa mère est en train de mourir. C’est un conte, où acteur comme spectateur peut s’identifier au parcours de Wahab. L’émancipation forcée d’un jeune homme qui se voit piégé par le temps, contraint par la mort et la fatalité de se remémorer le fil de sa vie, entraîne le spectateur au sein d’une subjectivité que nous partageons tous. Mais aussi au sein de pays : le Liban, celui du passé, et le Québec, où Wahab vit à présent. C’est un texte puissant, personnel, qui parvient néanmoins à rassembler toutes les subjectivités.

La scénographie est construite pour induire chez le spectateur une angoisse, « un ressenti choquant et une oppression » d’après Rémy. Car le texte de Mouawad a son lot de violences : Wahab grandit dans un Liban étouffé par les attentats. Retranscrire cette violence, c’est mêler l’imagination au récit. Pour distinguer un pays d’un autre, Clément a joué sur les lumières : du froid, puis, un peu de chaleur. Le son, comme l’éclairage, « accentuent les impacts du texte ». Car l’histoire de Wahab peut toucher tout le monde, à commencer par Rémy et Clément eux-mêmes : impressionnés par le texte de Mouawad, Clément a tout de suite accepté de mettre en scène Rémy qui lui, a découvert le texte au festival d’Avignon en 2013. Et depuis, il ne l’a plus jamais lâché.

Pourquoi l’histoire de Wahab touche-t-elle autant ? d’après Rémy, cela vient du fait qu’il vit ce que nous avons tous à vivre : la perte d’un proche, et le passage de l’enfance à l’âge adulte. Wahab, 19 ans, se libèrera de son enfance, sur le chemin de l’hôpital. « Il doit comprendre, et assumer ». Rémy me confie que l’histoire l’a beaucoup touché : « ça m’a catharsisé, et ouvert les yeux sur certaines choses. Ça m’a donné envie de me remettre en question, même dans ma vie » : le spectacle est une invitation lancée au spectateur pour faire de même. Invitation, car le texte est aussi un voyage : à travers un pays en pleine guerre civile, puis au Québec, pays apaisé du présent, mais aussi dans le monde de l’enfance, de la mémoire. L’idée toujours, est de représenter quelque chose d’universel.

Un obus dans le cœur, c’est du théâtre-récit : l’attention du spectateur doit être portée sur le comédien, c’est pourquoi Clément s’est activé à faire quelque chose de simple et de direct. « J’ai cette idée du théâtre qu’on n’a besoin de rien pour le faire » me confie Rémy. Mettre l’accent sur le jeu, le texte, et non pas sur le costume ou la scénographie. Une scène simple, qui tisse un lien naturel avec les spectateurs. Tantôt conteur, tantôt acteur, le comédien passe du récit à l’incarnation. Un « véritable défis », mais le duo est attaché à son projet, qu’il s’apprête d’ailleurs à jouer dans d’autres cadres que celui de Coups de théâtre.

Rémy Ledentu et Clément Bigot espèrent faire passer un beau moment aux spectateurs, de nous émouvoir surtout, de nous vider émotionnellement. L’impact du texte, la force du jeu et l’épuration des éléments scéniques nous toucheront à coup sûr.

12h30 puis 19h, Salle polyvalente de la Maison des Étudiants – Campus Porte des Alpes, Bron

                                                                   (c) DR

2 mai : Cher Inconnu

Création originale de Marvin Bel, Cher Inconnu est l’aventure épistolaire et surréaliste de Christian, personnage sans but et sans désir. Pris entre un mariage qui s’effrite et une absence de convictions, Christian écrira une lettre, sans destinataire, qu’il finira par jeter. Catharsis manquée ? Pas si sûr, car Christian recevra une réponse, et s’engagera dans un échange épistolaire où réel et fantasme s’entremêleront.

Marvin a créé un personnage qui se situe dans un entre-deux de sa vie. Il est « accablé d’un mal qu’il n’arrive pas à nommer », et tout repose sur le déni : Christian est persuadé qu’il ne parviendra jamais à expliquer ce qu’il ressent, même pas à son épouse, Charlotte. Marvin voulait créer un personnage qui a la sensation de se noyer dans son inaction. C’est en faisant toujours le même tour de quartier que Christian se débarrasse de cette lettre, qui sera retrouvée par un mystérieux personnage. Toute l’ambiguïté de la pièce repose sur cette correspondance : ce labyrinthe surréaliste permet au spectateur de se construire sa propre théorie sur ce qu’il s’est passé. « Je voulais laisser une ambiguïté sur la vie de cet homme », « relier ma propre imagination avec l’imagination collective de la salle ». Pour Marvin, le théâtre est basé sur ce rapport d’imaginaire entre ce que propose la scène, et ce que le spectateur décide.

L’objectif de mise en scène : représenter la solitude de Christian. Pour cela, Marvin a joué sur les lumières au sein d’un espace épuré : elles aident à relier les émotions des personnages aux émotions du public. Tantôt braquées sur le visage d’un personnage, tantôt déconcentrées pour croiser les rapports et les répliques, les lumières représenteront les espaces mentaux, les ressentis bruts, vides ou violents, les atmosphères horrifiques ou claustrophobes, qui rythment les échanges entre les personnages. Cela aura pour effet d’oppresser le spectateur : il se verra confronté aux peurs et aux désirs, une connexion s’établira entre lui et la scène. Marvin veut créer des personnages naturels qui provoquent l’empathie, à qui l’on puisse s’identifier facilement à travers leurs expériences et leurs états. Il décrit volontiers sa pièce comme « intimiste » : tout se concentre sur le texte. La lettre, objet intime par excellence, repose sur les mots, sur ces choses que l’on tente de nommer, ces sentiments que l’on essaye de définir.

Pour faire entrer les comédien.ne.s dans sa pièce, Marvin a choisi une direction d’acteur orientée vers leurs expériences personnelles. « J’ai volontairement choisi des acteurs qui jusque-là avaient joué des rôles à contre-courant de ceux de la pièce » « pour faire de nouvelles choses et que ce soit bénéfique pour tout le monde ». Il les a donc invités à puiser dans leurs expériences personnelles des ressentis et des émotions qui ont nourri les personnages. Ils ont été à la recherche d’émotions brutes, pures, des éléments de leurs vies qui les relient d’une façon ou d’une autre à leur rôle, jusqu’au moment idéal où, pour Marvin, « acteur et personnage ne font plus qu’un ».

Pour lui, le théâtre n’est pas un simple médium de divertissement : on peut y véhiculer des choses précieuses. « Le théâtre nous confronte », « nous fait dire des choses une fois à l’extérieur ». Car Marvin a écrit Cher Inconnu en 2015, en deux semaines seulement, et dans cette idée du théâtre, il me confie qu’il « avait des choses à dire, des idées à pousser, des situations banales à exploiter à l’extrême ». Le tout, pour donner à voir (et surtout à vivre !) au public une vie qui s’effondre.

Cher Inconnu nous confrontera certainement à nous-mêmes, nos émotions, nos passés, notre empathie. Marvin et toute l’équipe tenteront de « faire résonner la pièce » en nous : un théâtre qui jouera sur la connexion entre scène et salle …

18h, Salle polyvalente de la Maison des Étudiants, Campus porte des Alpes – Bron.

                                       (c) Unsplash.com ; Ransomizer.com

3 mai : Brume de printemps

« Il est amoureux d’elle. Elle est amoureuse de lui. En fait, ils ne savent pas vraiment. Par amour pour elle, il décide de renoncer à la réalité. Il choisit de devenir fou, pour la sauver. Mais on ne choisit pas la folie, c’est elle qui nous attrape, avec le temps ».

Écrit et mis en scène par Emma Topsy, Brume de printemps est ce qu’on appellerait un texte libre, où l’interprétation du spectateur est sans cesse rendue possible et transformable. La première volonté de son auteure : que les interprétations de chacun soient uniques, en ouvrant l’imaginaire, en laissant la salle se construire sa propre histoire. Emma Topsy a écrit Brume de printemps sur trois ans : une expérience d’écriture longue et différée dans le temps, mais elle a toujours su retrouver son fil rouge. L’amour, le temps et la folie sont les trois piliers des mots : Lui, fou d’amour pour Elle, choisit de la délester d’un bout de son âme. Car Elle est folle : elle croit que le temps veut la tuer. Sa folie à Elle le contaminera Lui, pris entre son amour inconditionnel, et ce Quelqu’un d’autre qui n’a de cesse de le ramener à la raison. Des personnages pris entre plusieurs réalités. Qui existe ? Qui prend l’âme à qui ? Ce sera à nous d’en décider, et nous n’aurons certainement pas tous les mêmes réponses.

Emma Topsy décrit volontiers sa pièce comme s’inscrivant dans le théâtre contemporain : peu de décors, mais une dramaturgie de l’espace, qui guidera le sens construit par le spectateur. « Quand tu fais de la mise en scène, tu dois donner quelque chose au spectateur » : si Emma écrit un texte abstrait, sensoriel, elle tient à s’engager dans une réelle pensée de la scène et du corps. Elle dirige les quatre acteurs entre un arbre de papier mâché, quelques chaises et une rivière. Les acteurs, s’ils ne viennent pas tous de la « famille du théâtre », ont su réinterpréter le texte. Les thématiques et les personnages ont évolué au fil de leurs propositions, le texte a été porté ailleurs : la magie du théâtre …

Au sein du dépouillement de la scène, il s’agit de guider le spectateur sans lui livrer de sens convenu. Emma Topsy déclare avoir écrit le texte sans le penser pour la scène : ce qui l’intéressait, c’était avant tout d’écrire un théâtre qui se lit. Être publiée avant d’être jouée : et pourtant, elle réalise ici sa première expérience de mise en scène. L’équipe nous a confié que l’adaptation au plateau a eu son lot de surprises, de découvertes, pour que le théâtre ne soit pas happé par les mots. Mais toujours, pour « semer le doute dans l’esprit du public, sur les relations entre les personnages, et la finalité du discours ». Mais l’histoire se dénouera-t-elle ? Finira-t-elle par se démêler ? Pour faire avancer la fable, quoi de mieux qu’un baiser …

La force de Brume de printemps résidera certainement dans la beauté du texte – salué par le jury de Coups de théâtre – l’épuration de la scène, et du rapport que les acteurs construiront avec les spectateurs. On a hâte d’être entraînés avec eux dans cette histoire d’amour, de temps et de folie.

18h, Salle polyvalente de la Maison des Étudiants, Campus Porte des Alpes – Bron.

                                                      (c) Johan Topsy

3 mai : Projet Monstre

Sur un plateau nu, le Monstre vient raconter l’histoire de sa vie. Les événements traumatiques. Les non-dits qui hantent sa relation avec sa mère. Sa naissance dans la douleur. C’est en retraçant les grands moments de son existence qu’il tentera de rencontrer sa mère, la comprendre, et enfin tisser une relation. Projet Monstre, c’est une pièce monologuée, entre un récit de vie et les dévoilements de nos tabous. Au-delà d’événements traumatiques, c’est tout une mise à nue de ce qu’on appelle « amour maternel », des sentiments de culpabilisation, des mécanisme invisibles mais vivaces qui hantent le système de la famille. Dire et montrer les tabous pour cesser de les nommer ainsi, mettre à nu les blessures pour y découvrir l’amour. C’est le dessein de Projet Monstre.

Emeline Roy a écrit et monté la pièce, aidée à la dramaturgie par Corentin Boiron, dans l’esprit d’un théâtre-antidote. Faire comprendre à son personnage pourquoi on ne dit pas les choses, jusqu’à tracer entre sa mère et lui « un pont ».  La culpabilité en est le point central. Celle de ne pas savoir s’exprimer, de ne pas faire les bons choix. C’est aussi un texte qui revient sur nos idées conçues, face à la psychanalyse, ou au rôle de chacun au sein du cercle familial. On y évoque le viol, le refoulement, la violence qu’on perpétue et qu’on subit, l’intimidation, ou encore la maternité. Pour confronter toutes ces choses, pour les surpasser, pour « s’émanciper ». Lou Legoaër, chargée de la scénographie, la décrit comme « une pièce exutoire », où la guérison se trouve quelque part.

Projet Monstre jouera sur l’émotion créée avec le public. Car ce qu’aborde la scène nous touche tous dans nos racines profondes : notre famille, notre construction en rapport à elle, en tant qu’elle est un « terreau propice aux non-dits ». Chacun recevra le texte à sa manière, mais l’humanité profonde et simple du Monstre nous renverra tous à nos propres subjectivités. Face à ce Monstre, un Chœur très corporel, qui dira tout ce que lui ne peut pas dire. Il représente des « traumatismes qui viennent des autres, et notre incapacité à être avec les autres » me dit Corentin. Le Chœur, un lien entre le Monstre et le public, dans l’esprit d’un théâtre pourtant très contemporain. Lier l’approche poétique du texte à une approche plastique de la scène, par le corps et l’expression dansée.

L’histoire du Monstre commence dans la douleur d’une naissance, jusqu’à sa rencontre avec le Parasite, voguant entre culpabilité et dépendance. Le parcours n’est pas facile. Puisqu’on « est dans la tête du monstre » tout au long de la mise en scène selon Lou, il faut créer un lien sensoriel entre scène et salle. Cela naît des expériences sonores et des mixages de sons créés collectivement, englobant le public dans une ambiance, appuyant le mal être du Monstre, entre bruits des planètes, lac gelé et grondements d’orage. On en sent d’ici l’atmosphère. 

Projet Monstre fera appel à nos émotions primaires les plus communes, et finalement les plus sacrées. Emeline tient à me dire que la pièce, resserrée en un format d’une demie heure, s’est nourrie des univers personnels de chacun des comédiens. Car le texte appelle « tous ceux qui le jouent à s’exprimer par lui ». Ce n’est pas l’histoire d’un individu, mais le récit d’une parole qui doit être dite. « C’est un projet intime où les vécus seront partagés » résume Corentin, car si les échos seront différents pour chacun, ils seront néanmoins presque palpables. 

« On ne parle pas mais on s’énerve, on crie sans jamais se comprendre. Il est plus simple de se braquer plutôt que d’affronter nos chuchotements ».

19h15, Salle polyvalente de la Maison des Étudiants, Campus Porte des Alpes – Bron.

                                                           (c) Lou Legoaër

4 mai : Aokigahara

Ce qui suit ne sera peut-être pas totalement objectif, car je m’occupe de la direction d’acteurs. Mais on va quand même essayer !

Texte et mise en scène originaux de Gautier Hertzler, Aokigahara est une expérience, du côté de la scène comme du côté de la salle. Ce nom poétique est aussi celui donné à celle qu’on appelle la forêt des suicides au Japon, lieu « hanté » où viennent se donner la mort chaque année des centaines de personnes. Gautier Hertzler voulait surtout traiter les écarts qu’il existe entre Orient et Occident, et les perceptions du suicide : la honte ou l’honneur, la beauté ou la laideur.

Sur scène, deux ombres. Une musique cyclique et brutale : on se croirait en plein cauchemar. Les ombres commencent à bouger et nous racontent la légende du soleil, cette déesse qui, vexée par les dieux, se réfugie dans une grotte et prive le monde de sa lumière. Puis, les ombres se transformeront en personnages : Sen et Haku, frère et sœur, qui viennent tout juste de tuer leurs parents, se sont réfugiés à Aokigahara. Cette forêt, c’est leur asile, et leur ultime prison. Eux qui ont été élevés dans un milieu privilégié, entre mondanités et solitude, connaissent l’enfermement. Est-ce finalement cela, la mort : la liberté ?

« Une expérience poétique » me dit Gautier : un travail profond sur la langue, les sonorités, les symboles. Comment la langue peut-elle provoquer des images ? En n’étant jamais didactique : elle n’enseigne rien, ne guide aucun sens, mais ouvre la perception, rend possible l’étrangeté. Il n’a pas voulu limiter les mots : il préfère travailler sur l’amplitude des phrases, « comme un labyrinthe, dont on ne distingue pas tout de suite la sortie ». On libère le spectateur de ses prérequis et de ses attentes : on le bouscule, on le déroute. Gautier n’a pas voulu traiter du suicide : il a préféré l’évoquer. Après de nombreuses recherches documentaires, les questions s’orientent vers la perception de cet acte : que représente t-il ? que symbolise t-il, dans telle ou telle culture ? ce n’est pas le suicide en soi qui intéresse Gautier : ce sont les écarts, la binarité, l’Autre. « Le suicide est un geste qu’on fait à soi : il aussi par et pour les autres, le geste s’applique aux autres ».

Le texte n’est qu’un élément de la représentation dans son esprit : la scène est une « atmosphère particulière », et tous les éléments composant le théâtre sont au service de cette ambiance. Le plateau ressemble à un rêve : des bandes qui tombent du ciel, le sol couvert de terre, du rouge, du noir et du blanc, « Des silences. Partout. Tout le temps ». Une esthétique de l’irréalisme, allant vers l’idée d’étrangeté dont parlait Brecht : rendre la représentation étrangère aux normes et au quotidien du public. « Créer une bulle de la représentation » où sont inclus les spectateurs, un « monde opiniâtrement clos » (comme disait Francis Ponge), structuré, le temps d’une heure, par l’irréalité.

Quelle vision du théâtre Gautier porte t-il, avec l’expérience d’Aokigahara ? Il me dit quelques mots : l’harmonie, l’équilibre, la beauté, s’éloigner de la psychologie et se rapprocher d’une poésie subjective. Le spectateur est libre dans le théâtre qu’il défend : car il est au sein d’un irréel qui ne peut jamais vraiment se détacher du monde. Aller plus loin que la réalité, tout en sachant que « ce plus loin est condamné à rester ici et maintenant ». Le spectacle pousse cette perception : créer cette bulle par tous les moyens, à commencer par la disposition en demi-cercle des spectateurs. Le théâtre est une expérience contemplative selon Gautier. Vivre, en tant que public, une forme de passivité : accepter son inaction face à la représentation, et se laisser enlever …

« Ils les ont conduits dans le petit salon et ils leur ont servi le thé Ils ont dit simplement Nous ne voulons pas ».

18h, Salle polyvalente de la Maison des Étudiants, Campus Porte des Alpes – Bron.

                                                                         (c) Clémentine Pons

4 mai : Le clown lunatique et la danseuse étoile

 « C’est un clown malade dans un hôpital et sa vision magique imbibe tout autour de lui » (Estelle Noukhkhaly)

Pour clôturer la saison 2017, la compagnie Lune Nez l’Autre nous propose un voyage poétique et sensible, un chemin où se croisent le théâtre et l’univers hospitalier. Dans ce texte de Malvina Migné, le clown Ogusto, coincé entre la réalité d’un hôpital et son merveilleux chapiteau imaginaire, répète le numéro de son opération chirurgicale. Parmi des âmes en blancs (des infirmiers) et sa danseuse étoile (une externe), Ogusto entreprend un voyage cocasse et sensible vers la guérison. Une balade moins naïve qu’elle n’y paraît, car le clown, cette figure tantôt candide, tantôt sombre et muette, sert de projection à nos peurs et nos angoisses depuis sa création.

La compagnie Lune Nez l’Autre a été initiée par Camille Dénarié (metteuse en scène), Malvina Migné (auteure) et Saskia Bellmann (scénographe) qui, motivées de créer ensemble au-delà de leurs esthétiques très différentes, ont commencé par travailler à distance les unes des autres. Camille me décrit le texte de Malvina, initialement écrit sous forme de nouvelle, comme étant « lumineux, narratif ». Il s’agissait dans une première phase de l’adapter au théâtre, pour ensuite lui opposer des contradictions scéniques, et ainsi créer l’univers du Clown lunatique et la danseuse étoile. Camille explique que la Compagnie est sensible aux questionnements qui relient culture et santé : elle souhaitait mettre l’hôpital sur scène, pour « lui offrir un nouvel horizon poétique », et parler de la hiérarchie qu’il peut exister dans cet univers robotique où l’humain doit toujours être plus réactif et efficace. Personne ne sait ce qui chagrine autant Ogusto : sa maladie, c’est d’être « toujours inadapté », de jongler entre deux réalités juxtaposées qui n’ont pas le même visage. La réalité d’Ogusto est plus apaisante, « moins douloureuse », grâce à sa danseuse. Il est un être sensible, tout en fragilité. Il était important de ne pas lui donner d’âge ou de genre : ainsi, Ogusto est interprété par Clémence Zakiri dans un jeu intuitif, guidé par les émotions.

La compagnie s’est nourrie de l’univers du cirque, pour proposer ce qui reste un spectacle de théâtre : la matière première de leur création demeure le texte. Ce qui n’empêche pas quelques performances, et une grande utilisation du corps dans leur travail. Le spectacle compte aussi la participation d’un compositeur et de deux musiciennes (basson et saxophone), car la compagnie tenait à créer un lien réel entre la musique et le théâtre, pour dépasser la valeur illustrative du son. Concernant la scénographie, Saskia Bellmann l’a faite fonctionner comme toutes les autres composantes : partant d’une réalité concrète pour aller vers une échappée plus poétique. « Nous sommes partis du médical et de l’image préconçue que nous en avons tous, pour ensuite détourner ces objets authentiques, les amener vers un onirisme possible, dans une idée ludique du détournement ». C’est un peu l’histoire de « comment un fauteuil roulant peut devenir un monocycle ». La lumière soutient cette logique, oscillant entre deux atmosphères froides puis dorées. Finalement, la scénographie et le jeu apportent un « contrepoint à la narrativité du texte » me dit Camille : un défi de mise en scène, qui a nécessité au total la participation de quatorze personnes.

La compagnie espère « proposer un autre horizon possible » aux spectateurs, un regard nouveau sur le cirque, mais aussi sur l’hôpital. Les spectateurs de Coups de théâtre constitueront son premier « petit laboratoire », car elle espère pouvoir jouer prochainement son spectacle en milieu hospitalier. Enfin, la Compagnie considère que ces rencontres Coups de théâtre sont finalement un espace d’expression en tant qu’étudiants ou professionnels du spectacle, et trouve la conclusion parfaite pour cet article : « Il faut s’emparer des murs », pour investir l’espace qu’offre l’université, et exprimer toute la diversité de la création étudiante.

19h15, Amphithéâtre culturel, Campus Porte des Alpes – Bron

                                    (c) Saskia Bellman & Annouck Parrado

[L’espace investi, il ne tient qu’a nous publics, de venir soutenir la création étudiante, qui trouve en des événements tels que Coups de théâtre, un terrain d’expression, d’expériences et d’échanges. De belles preuves que la création est tout ce qu’il y a de plus vivante dans et hors les murs de l’Université, et que nous étudiants, à travers nos créations, affirmons déjà quels artistes nous sommes et serons demain. Et c’est parti pour dix jours de plaisir …..

PS : Toutes les représentations seront suivies d’un bord de scène