Entretien avec un jeune collectif de rappeurs lyonnais

Egzagone. C’est le nom que s’est choisi un jeune collectif d’artistes lyonnais, dont la création concrète remonte à l’été 2018. ArlyoMag a récemment pu s’entretenir avec l’un de ses membres, Ry’s, qui a décortiqué pour la rédaction son univers, ainsi que celui d’Egzagone.

On va commencer par toi, en tant que musicien indépendant d’Egzagone. Explique-nous quel genre de musique tu crées.

Pour faire simple, je fais du rap. C’est la culture et le hasard des choses qui m’y ont conduit. Mais en vérité, je ne suis pas fermé au simple terme “rap”, ce que je crée est musicalement influencé par beaucoup de choses. Je ne vais pas m’arrêter au traditionnel schéma couplets/refrain, avec des textes qui parlent de la rue. Ça va dépendre des sons. J’essaye d’être le plus possible polyvalent, de monter une mixtape avec du chill, de la trap, du rap ou même de la pop… Je suis très ouvert en termes [sic] de contenu et de technique. Je fais de la musique avant tout, et ça, ça ne se calcule pas, quelles que soient mes influences.

Quand tu nous parles d’influences, tu penses à un artiste en particulier ?

En fait, non. Moi comme beaucoup d’autres membres d’Egzagone, on n’a pas d’inspiration particulière qui vienne du rap français, ni du rap US. Pour nous, il n’y a pas que le rap qui compte. Évidemment, il occupe une place importante, mais on va aussi s’inspirer de la house, de la pop US ou du R’n’B par exemple. C’est un tout. Par contre, au sein d’Egzagone, on est beaucoup à adorer L’Entourage, surtout d’un point de vue technique. Mais de manière générale, ce ne sont pas les gens qui nous plaisent, plutôt les genres ou les idées d’un point de vue musical. Il y a beaucoup d’artistes qu’on va aimer, chacun pour une raison différente. Ce qu’il y a de bien dans notre collectif, c’est qu’on est tous dans le même état d’esprit. Au final, notre musique vient de là, et de nulle part ailleurs.

Tu peux nous expliquer plus en détail ce que c’est Egzagone ?

C’est un collectif, ou plutôt un label indépendant. Un collectif parce qu’on n’est pas uniquement des rappeurs ; un label car on produit nous-mêmes la musique. On est huit membres, tous rappeurs, mais aussi tous polyvalents. Par exemple, il y en a qui créent les instrus, d’autres qui font le montage des clips, qui font les graphismes pour les pochettes. Il y en a qui sont ingénieurs son aussi, ou qui s’occupent de la gestion de l’emploi du temps quand on travaille sur nos mixtapes… Ce que je veux dire, c’est qu’on essaye tous de faire quelque chose à côté du rap. Au-delà de nous, il y a aussi d’autres gens qui nous aident, en qui on a confiance et qui nous permettent d’avancer. En disant ça, je pense surtout à Osoror, qui ont produit et réalisé tous nos clips jusqu’ici.

Comment en êtes-vous venus à monter ce collectif ?

En fait, ça a commencé par un groupe qui s’appelle Voodoo Gang, que j’avais créé avec un autre membre d’Egzagone, Marka. Puis début 2017, on s’est tous plus ou moins rapprochés, je veux dire les membres d’Egzagone. Avant qu’on lance notre mixtape cet été, l’idée du collectif restait un peu floue. Mais sortir nos sons, nos clips ; montrer ce dont on était capables, ça a vraiment donné naissance à Egzagone. Ce qui est assez drôle, c’est qu’on se connaît tous, de plus ou moins près, depuis des années. Un certain nombre d’entre nous était au collège et au lycée ensemble. On s’était déjà tous rencontrés, mais on s’est tous retrouvés dans le rap.

Tu peux m’en dire plus sur la mixtape que vous avez sortie cet été ?

D’abord, il y a huit titres, qui sont sortis en juillet. Il faut savoir que c’est un projet qu’on a réalisé en un mois. Ça peut sembler rapide, mais on a travaillé à fond pendant tout le mois de juin. En fait, on avait été invités à faire un live à Paris cet été, mais on voulait vraiment avoir du concret à montrer avant de monter sur scène. C’était un peu un objectif : réussir en un mois à gérer tout le montage de la mixtape, tout en préparant notre live, pour voir dans quelles conditions on était capables de gérer notre travail. Et on a réussi.

Jeune collectif, certes. Mais qu’est-ce qui a changé dans votre musique depuis que vous avez commencé ?

Au début, on enregistrait nos sons sans aucune connaissance. On allumait Audacity et on enregistrait un peu n’importe comment, puis on mettait en fond une instru qu’on trouvait sur Internet. C’était fait sans aucun professionnalisme, on était beaucoup dans l’improvisation. Mais un jour, on a commencé à vraiment s’intéresser à la musique, surtout à comment on la crée. À partir de là, on a commencé à enregistrer nos sons sur d’autres logiciels, et donc à acquérir une meilleure technique. Mais on a aussi connu une évolution en termes [sic] de contenu. Car au départ, Egzagone s’est monté au cœur d’une bande de potes, qui rappaient souvent ensemble, comme ça. Aujourd’hui, on est tous investis dans l’aventure, comme s’il y avait une sorte de compétition amicale entre nous qui nous poussait à travailler de plus en plus. On peut dire qu’aujourd’hui on est plus sereins en termes [sic] de bases techniques, et donc on essaye de sortir de notre zone de confort pour essayer de nouvelles choses. On continue à faire du rap et de la trap, comme au départ, mais on a aujourd’hui un intérêt pour la musique qui grandit et qui nous pousse à améliorer ce qu’on fait.

Quelles évolutions avez-vous connues depuis la création d’Egzagone ?

Au début, c’était vraiment une idée comme ça, un peu lancée en l’air. Mais on n’avait personne pour tourner nos clips, on n’avait pas de technique, pas de matériel… C’était dur. On n’avait même pas les connaissances suffisantes pour faire de la vraie musique. Puis avec le temps, à force de travailler “en coulisses”, on a réussi à atteindre notre objectif et à concrétiser notre existence. Donc je dirai que la plus grande évolution qu’on ait connue, c’est l’élargissement de nos connaissances. Aujourd’hui, on sait faire de la musique, de la vraie. On est autosuffisants, ce qui nous permet de gérer nos projets de manière viable.

Tu parles de projets. Vous en avez déjà quelques-uns pour la suite ?

Dans l’idée, on veut tous maintenir Egzagone à flot parce qu’on aime beaucoup cette aventure. L’idée pour le moment, c’est juste de continuer à vivre ça, tout en apprenant un maximum de choses pour qu’on puisse encore améliorer notre musique et nos clips. Évidemment, pour ça, il faut aussi qu’on arrive à élargir notre réseau. On n’est fermés à personne et on essaye de rencontrer le plus de monde possible. Pour nous, le nombre est une force. Grâce à ça, on active un réseau assez vaste.

Est-ce que tu dirais qu’il existe un lien particulier entre vos sons et vos clips ?

Disons que pour le moment pas vraiment. On essaye plus de renvoyer une belle image, quelque chose d’esthétique, plus que de créer une ambiance particulière. Le truc, c’est qu’on aimerait vraiment se créer un univers propre, une identité, mais pour l’instant, on n’en a pas les moyens. Ce qu’il y a quand même de bien, c’est que l’écriture des scénarios est entièrement prise en charge par les membres d’Egzagone, donc on sait tous où on va.

Dernière question : qu’est-ce qu’en tant que rappeurs vous aimez (ou pas) dans le rap français d’aujourd’hui ?

Disons que ce qu’on va beaucoup aimer, c’est l’accessibilité. À l’époque, percer dans le milieu du rap c’était super difficile. Il fallait du matériel précis, des relations, avoir les moyens d’aller en studio… Aujourd’hui, ça s’est démocratisé. Tout le monde peut tenter l’expérience, et ça, c’est ce qu’il y a de mieux. Mais ce qui va nous déplaire dans le rap actuel, c’est la prédominance des tendances. Les rappeurs n’ont plus obligatoirement d’inspiration propre, ils vont presque tout calquer sur ce que font les autres, surtout sur les rappeurs américains. C’est comme s’il y avait une perte du patrimoine français – sans faire le puriste. C’est dommage.