Et la femme créa Hollywood !
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Hollywood, la cité des femmes, c’est là l’ambitieux titre du livre d’Antoine Sire sorti chez Actes Sud au mois d’octobre. En effet, l’œuvre a pour ambition de retracer la trajectoire des actrices qui ont construit (autant que leurs homologues masculins) le mythe hollywoodien. À cette occasion, l’Institut Lumière a consacré à la venue d’Antoine Sire trois projections et une exposition de photos. Enfin l’occasion de rendre aux femmes qui ont habité le cinéma ce qui leur est dû, à savoir bien plus que la lumière des projecteurs.

Johnny Guitar, un western au féminin !

Johnny Guitar sort en 1954, un an avant le film qui consacrera James Dean dans son rôle de voyou délicat, dans La Fureur de vivre. Si ce film nous intéresse particulièrement, c’est parce qu’il est un des très rares westerns de l’époque à être entièrement porté par un personnage principal féminin. En effet, deux personnages féminins seuls se disputent la tête d’affiche de cet époustouflant western aux couleurs éclatantes. Joan Crawford y incarne Vienna, tenancière de saloon indépendante et forte rivale de la riche propriétaire du village, Emma, incarnée par Mercedes Mc Cambridge.

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Beaucoup considèrent Johnny Guitar comme l’un des premiers et seuls westerns « féministes » (si l’on entend par féministe ici l’idée qu’un personnage féminin ne soit pas réduit à son rapport de subordination à un personnage masculin). En effet, Johnny Guitar, l’amant de Vienna, qui revient au saloon pour revoir celle qu’il avait quittée, apparaît comme parfaitement secondaire. Ainsi son retour (une guitare sur le dos et sans arme) n’est dicté que par la volonté de Vienna de protéger son bien.

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 Joan Crawford, qui était mise à l’honneur par cette rétrospective, déploie dans Johnny Guitar toute la puissance d’interprétation magnifiée par la mise en scène de Nicholas Ray. En effet, le travail du cadrage et de la distance ne cesse de présenter le personnage comme conquérant ; elle occupe l’espace, et le travail de la couleur fait d’elle le point focal de l’attention. Tantôt amoureuse farouche, patronne de saloon autoritaire, Vienna incarne comme rarement on a pu le voir au cinéma l’indépendance du féminin.

La couleur et le féminin chez Nicolas Ray

Je n’ai pu résister à faire ici un retour sur l’usage magnifique de la couleur dans les films de Nicholas Ray à travers Johnny Guitar. En effet, chez lui, l’éclat de la couleur et le féminin vont de pair. Personne n’a oublié le blouson de James Dean dans La Fureur de Vivre, La Robe de Cyd Charisse dans Party Girl. L’omniprésence du rouge est l’emblème de cette importance de la couleur dans le cinéma de Ray .

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Dans les films de Nicholas Ray, la couleur est une parole, elle nous dit des choses du personnage. Ainsi dans Johnny Guitar, Ray l’utilise pour façonner le visage de Vienna et mettre en avant le travail du jeu de Joan Crawford. Lors de la scène d’assaut final, le chemisier jaune et le foulard rouge portés par Vienna font d’elle le point focal du regard du spectateur. Ce travail de la couleur ajouté à celui de la lumière et du scope participe d’une véritable spectacularisation de l’action.

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La Rue Rouge, peinture et film noir

En adaptant La Chienne de Renoir, Fritz Lang signe avec La Rue Rouge un portrait d’homme désœuvré dévoré par son attirance pour le féminin. Un malheureux caissier, peintre amateur, croit sauver une jeune femme d’une agression. Cette dernière, jeune, belle, envoûtante, va abuser de sa naïveté en vendant ses toiles sous son nom. Malgré son ton comique, l’œuvre de Fritz Lang relève indubitablement du film noir, un genre alors en plein éclosion.

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En effet, l’œuvre travaille des similitudes profondes avec le film qui en deviendra l’emblème — Laura, d’Otto Preminger, sorti un an avant, en 1944. Ici, la peinture est un thème central qui symbolise envoûtement de l’homme par la femme et son désir de posséder cette dernière. Chris n’aura q’une obsession, peindre Kitty (Joan Bennett) .Le portrait qu’il fera d’elle deviendra son plus grand chef d’oeuvre. D’elle il ne restera finalement que ce tableau , symbole de l’influence de la femme dans le genre du film noir.

Joan Bennett, femme fatale ?

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Si le film noir est souvent relié à ses personnages de détectives pessimistes et dévorés par le passé, il ne serait rien sans celui de la femme fatale. Ainsi cette dernière pousse souvent les personnages masculins à leur perte par désir de la posséder. Entre Gene Tierney dans Laura et Joan Benett dans La Rue Rouge (le tableau ci-dessus), un parallèle s’établit à travers la figure du portrait. Car la femme fatale cristallise autour d’elle les thèmes emblématiques du film noir : jalousie, trahison, crime, érotisme. Ainsi, ceux qui sont incapables de réduire le féminin sous leur emprise n’auront d’autre consolation que de dessiner la femme à l’image de leur fantasme.

Rebecca, l’art de la transformation

Chez Hitchcock, la représentation de la femme ne va jamais sans une volonté de la façonner à son image. Comme Kim Novak dans Vertigo ou Grace Kelly dans Rear Window, Joan Fontaine n’échappe pas à cette tradition hitchcockéenne. En effet, elle incarne avec brio dans Rebecca la seconde épouse d’un homme hanté par le souvenir omniprésent de son ex-compagne. Ici, Joan Fontaine va déployer toute la puissance et la nuance de son jeu, qui magnifie le personnage de la nouvelle Mrs De Winter. Follement éprise de son nouvel époux, elle tentera par tout les moyens de le sauver de l’abîme dans lequel le plonge le fantôme de Rebecca.

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En témoigne l’ouverture magnifique du film, où son apparition rayonnante et inespérée sauve Maxim De Winter du suicide. Comme dans Lettre d’Une Inconnue d’Ophuls, son personnage ne parviendra jamais à atteindre l’idéal désiré par celui qu’elle aime. C’est dans cette entre deux, entre force d’abnégation et fragilité, qu’elle distille l’émotion, faisant d’elle l’une des figures de femme les plus fortes du cinéma d’Hitchcock.

Duel féminin

Mais le véritable adversaire du personnage de Joan Fontaine n’est pas Rebecca. Car le véritable duel féminin qui habite tout le film , sera celui de Mrs Danvers et de la nouvelle Mrs De Winter. Ainsi , Judith Anderson incarne avec un brio glaçant cette gouvernante obsédée par le souvenir de son ancienne maîtresse. C’est auprès de cette ombre inquiétante qui nourrit les fantasmes d’un passé anxiogène que le personnage de Joan Fontaine devra s’imposer.

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En effet, Mrs Danvers n’aura de cesse de maintenir en vie le souvenir de Rebecca, qu’elle vénère amoureusement. En témoigne cette scène au caractère lesbien assumé, où l’ancienne gouvernante fait visiter les appartements de Rebecca à sa nouvelle maîtresse. Sous le regard d’une Joan Fontaine horrifiée, elle passe sa main dans le déshabillé de Rebecca, fait mine de peigner la morte, caresse son manteau de fourrure. Et si Joan Fontaine est la protagoniste principale de ce film, c’est peut-être finalement Mrs Danvers qui en est le véritable personnage, terriblement hitchcockienne.

Enfin, pour les amoureux de Hollywood et de ses actrices, la galerie de l’Institut Lumière (3 rue de l’Arbre Sec) propose jusqu’au 8 janvier une exposition de portrait de celles qui ont façonnés le visage d’Hollywood à leur image.

Laurine Labourier