Fioravante, l’apprenti gigolo

Le 9 avril sortait dans les salles lyonnaises, et dans le reste du monde me direz-vous, le dernier long de John Turturro : Apprenti Gigolo. Un film qui nous raconte l’histoire de Fioravante (qu’il interprète lui-même), un fleuriste new-yorkais qui, motivé par son ami Murray (Woody Allen) et par quelques problèmes d’argent, décide d’être gigolo. Il deviendra donc le prostitué de son grand ami libraire, lui aussi apprenti mac chargé de trouver des clientes comme Sharon Stone ou Vanessa Paradis.

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TURTURRO, HOMME DE L’OMBRE TOUCHE-À-TOUT

Apprenti Gigolo est le septième long métrage de l’acteur/réalisateur John Turturro, qui a débuté sa carrière derrière la caméra dès 1992 avec Mac, film pour lequel il recevra le prix de la Caméra d’or à Cannes. Il reviendra ensuite en 1998 avec l’excellent Illuminata nominé pour la Palme d’or, avant de sortir en 2005, Romance and Cigarettes avec notamment le grand James Gandolfini. Ses films, toujours bien reçus par la critique et souvent primés lors des divers festivals ne connaissent cependant pas le même enthousiasme auprès du public. En effet, malgré le potentiel évident du cinéaste et la qualité indéniable de ses films – au niveau de la réalisation tout particulièrement -, ces derniers ne sont pas restés dans les mémoires et son travail semble définitivement trop peu (re)connu.

Le dernier venu paraît marquer un tournant dans la carrière de Turturro, qui connaît enfin un certain succès populaire et qui s’impose comme un réalisateur à part entière. Chose difficile pour un acteur ainsi qu’en témoignent les flops des différents projets de James Franco, pourtant magistral lorsqu’il s’agit de jouer. En dépit de quelques soucis d’écriture, Apprenti Gigolo est le film le plus abouti du cinéaste, qui signe là un travail de réalisation quasi impeccable : les plans, la mise en scène, les lieux de tournage et l’ambiance du film sont une réussite.

Grâce à cette double casquette d’acteur/réalisateur, ce qui fait de Turturro un cinéaste aux multiples facettes et aux innombrables talents, c’est sa carrière d’acteur.

Il a en effet incarné une multitude de personnages, tous différents, et il est aussi bon dans la peau d’un méchant que dans celle d’un grand timide. Du terroriste rêvant de vendre des chaussures dans You Don’t Mess with the Zohan au joueur de bowling douteux dans The Big Lebowski, il est connu pour changer radicalement de physique selon les films. Habitué à travailler avec les frères Coen, il est très souvent la marionnette de ces réalisateurs qui adorent jouer avec l’apparence de leurs acteurs pour leur donner des rôles à contre-emploi. Ils sont, par exemple, les seuls capables de ringardiser en un film Brad Pitt et George Clooney (voir Burn After Reading). Malheureusement, et bien qu’il excelle dans ce registre, Turturro reste souvent cantonné dans des seconds rôles, voire des rôles mineurs. Ses films lui permettent alors de s’exprimer autant devant que derrière la caméra.

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 LE ROM COM REVISITÉ

Pour Apprenti Gigolo, John Turturro se réapproprie le style et les codes du Rom Com (romantic comedy) avec succès. Dans ce film à double tranchant, il alterne entre bestialité et tendresse, et s’amuse à chercher l’amour où l‘on ne le trouve pas : dans les bras d’un gigolo ou d’une veuve. Cette histoire, plutôt loufoque, est traitée de manière décalée sans tomber dans des clichés trop souvent présents dans ce cinéma. L’humour est subtil et le jeu des acteurs sonne vrai, il arrive à nous émouvoir et à nous amuser sans en faire trop.

Malgré un esthétisme et une ambiance feutrée – celle d’un New York en plein automne – très proches des standards du Rom Com, le scénario et le rythme sont comparables à une bouffée d’air frais et contrastent avec les autres films de ce genre déjà trop exploité. Turturro se permet, par exemple, de placer dans son œuvre de longues scènes parfois inutiles à l’intrigue (celles qu’on apprécie le plus) accompagnées uniquement d’une des musiques de la superbe bande son.

Lassé de ces comédies où la fin est prévisible depuis la première scène et où le timing est invariablement le même, le réalisateur nous offre un film dans lequel il garde les bases du Rom Com et se débarrasse du packaging habituel qui va avec. Plus profond et totalement décomplexé, Apprenti Gigolo nous interroge sur la solitude et sur les rapports qu’ont les hommes avec le sexe.
On peut cependant regretter le fait que certains personnages sortent de l’intrigue aussi vite qu’ils sont arrivés, sans apporter quoi que ce soit au film. Murray et Fioravante n’évoluent pas non plus et ne tirent aucune leçon de leurs actes qui n’ont d’ailleurs pas de réelles conséquences. Ce qui nous rappelle l’Inside Llewyn Davis des frères Coen, dans lequel cet aspect est assumé et maîtrisé.

LA PROSTITUTION : MÉTIER D’UTILITÉ PUBLIQUE ?

L’histoire est donc celle d’un homme seul qui décide de satisfaire des femmes, elles aussi seules, en se prostituant. Ce film étant une comédie, la prostitution n’est évidemment pas montrée sous un angle classique et réaliste où l’on voit toute la précarité et la détresse liées à ce métier. Turturro décide de prendre le contre-pied de ce sujet. Il traitera de l’histoire d’un homme, avec humour et dans un univers plus proche des gratte-ciel que des trottoirs.

Plutôt que d’y voir une marchandisation du corps, le réalisateur préfère parler d’une activité qui « apporte la magie chez les solitaires » et il voit même Fioravante comme quelqu’un « à leur écoute, il est dans l’humanité et la tendresse ». La vision édulcorée de la prostitution qui paraît se dessiner au début du film se révèle tout de même assez crue – bien que fantaisiste -, particulièrement au niveau des sentiments et de quelques scènes de sexe.

Entre La Crème de la crème et cet Apprenti Gigolo, la prostitution semble être un thème fertile car exploitable sous tous les angles. Si vous n’êtes pas prêt à vous lancer dans un Kim Chapiron, la rédaction vous conseille d’aller voir Apprenti Gigolo.