Compte-rendu du festival Hallucinations Collectives (Partie 3)

 

Vous l’attendiez, voici la troisième partie de ce compte-rendu du festival Hallucinations Collectives : l’homme, la femme et la mort…
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Lettres d’un homme mort (1986)

Un film de Konstantin Loupachanski.

Après l’apocalypse atomique, les survivants sont condamnés à vivre sous terre, dans les ténèbres. Parmi eux, un ex-nobélisé adresse par la pensée des lettres à son fils qu’il espère encore vivant.

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Oeuvre dépressive dans un environnement post-apocalyptique une fois encore, là où Black Moon créait une vraie poésie teintée d’amertume dans ces vignettes de batailles, le parti pris de la photo sépia permanente à quelques scènes près étant un parti pris artistique, le film digère complètement tous les codes du genre post nuke : limitation du nombre de décors claustrophobiques et exigus, film en quasi huis clos, excepté les explorations à la surface où la mise en scène devient plus alerte et nerveuse. Lettres d’un homme mort réveille le spectateur de la torpeur contemplative des dialogues auteurisants avec lesquels on est confronté par des fulgurances d’actions (superbe séquence d’explosion atomique préfigurant Terminator 2) à partir du second acte où le film se montre plus rythmé.

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Toute l’oeuvre est réalisée de manière quasi-théâtrale (beaucoup de plans fixes) et se base énormément sur les gros plans ou sur une mise en scène plus mobile lorsqu’il s’agit de filmer les réactions des personnages dans des scènes de groupe.  

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Pas inintéressant pour le fantasticophile adepte du post nuke (on pense parfois à des œuvres comme Avalon ou Jin Roh dans les séquences avec les soldats ou lors ce plan de fin qu’on croirait sorti de Mad Max 3), mais très hermétique dans sa mise en images et ses intentions héritées du cinéma expressionniste russe traditionnel.   

 

Der Fan (1982)

Un film de Eckhart Smidt.

Adolescente obsédée par le chanteur R, Simone arrive à passer une nuit avec lui. Si pour la popstar ce n’est qu’une aventure de plus, c’est pour Simone l’occasion de fusionner à jamais avec l’objet de son désir.

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Chronique adolescente fortement inspirée par le giallo dans sa mise en scène, Der Fan aurait pu être une oeuvre plus proche de Larry Clark ou de Gus Van Sant sans ce dernier acte absolument estomaquant.

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On suit avant tout le quotidien de Simone, interprétée par l’impeccable Désirée Nosbusch, dans une peinture très réaliste du tourment adolescent et de l’obsession proche du fanatisme qu’elle a envers son idole. Mais le vrai message du film est beaucoup plus pervers qu’on ne peut l’imaginer.

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En effet, il possède une dimension charnelle proche d’un David Cronenberg et de sa thématique de la métamorphose de la chair avec, notamment par l’emploi du symbolisme, la transition saphique explicite où la caméra effectue un fondu au noir en entrant dans la bouche de Simone dans la scène où elle se colle à l’affiche de R, telle une décalque de son propre corps. Mais la parenté évidente avec le réalisateur de Vidéodrome et de Faux Semblants est bien cette dernière demi-heure où la jeune fille assouvit son fantasme de fusionner littéralement avec R de la manière la plus organique, la plus immorale et la plus explicite qui soit.

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On peut d’ailleurs noter la dimension quasi mystique de l’acte de la jeune fille : le film rappelle constamment le vrai sens du mot fan, comme étant la contraction du terme fanatisme ; la jeune fille et d’autres groupies sont représentées de façon presque religieuse, telles des vierges offrant leurs corps à la divinité (renvoyant le temps de certains plans à Phantom of Paradise), tout comme le soulignait déjà le clip où R interprète un mannequin prenant vie sous les yeux des caméras et donc de Simone, renvoi direct au mythe de Pygmalion.

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Donnant parfois l’impression dans son second acte de virer à une esthétique de clip musical, avec l’apparition de R en chair et en os (jamais cette expression n’aura été mieux utilisée), la mise en scène laisse encore planer le doute sur la réalité de l’instant de la rencontre entre la jeune fille et son idole, comme si le fantasme de Simone fusionnait avec la réalité.

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Si la mise en scène reste sobre mais sous influence giallesque, la peinture sociale et le ton du film (très peu de dialogues dans la première moitié du film où tout passe par la voix off de Simone pour souligner son univers mental) peut en effet tromper le spectateur sur son genre.

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En cela, Der Fan reste une oeuvre hybride intéressante, au message encore totalement d’actualité dans sa peinture de l’obsession du fan, mais dont le vrai message et sa mise en image très graphique (et parfois gore) pourra fortement en rebuter certains.   

 

Innocence (2004)

un film de Lucille Hadzihalilovic.

Un pensionnat de jeunes filles, au cœur d’un parc hors du monde et du temps. Veillant les unes sur les autres, les élèves, les professeures et l’encadrement exclusivement féminin y vivent en une petite communauté hiérarchisée, stricte mais presque familiale.

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Ce qui frappe dès les premières images du film, c’est la dimension presque sensitive des images, la réalisatrice nous donne en l’espace de quelques plans les clés du film sans que nous le sachions.

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Véritable illustration pelliculée de souvenirs d’enfance, Innocence est avant tout un film qui se permet de ne pas forcer sur le symbolisme et qui se contente aux premiers abords d’être une oeuvre picturalement superbe, grâce au talent de la photo et de la lumière de l’excellent Benoit Debie (Vinyan, Enter the Void, Lost River).

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Oeuvre au casting 100% féminin, à l’exception de figurants lors de deux séquences clé, Innocence est comme une plongée mentale dans l’esprit de sa réalisatrice où chacun des personnages ou encore des textures de certains décors sentent un vécu restitué à l’écran.

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Mais plus le film avance, plus le mystère sur le contexte, le lieu et le rôle que doivent jouer ces petites filles se teintent d’obscurité, les scènes de nuit exposent les doutes que se posent les enfants sur ce qui se trouve au delà du mur, tendant parfois lors de certains plans à la lisière du fantastique. On pense parfois aussi bien au film Les innocents qu’à Suspiria, justement dans les scènes de la salle de danse ou dans la scène de la visite de la directrice.

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La métaphore explicite des papillons est également l’occasion de montrer derrière les images le malaise apparent de la situation dans laquelle se positionne le film avant que le 3ème acte ne délivre la réponse sous une forme métaphorique qui ponctuait déjà le film et ce dès le second plan.

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Derrière des atours purement fantastiques, flirtant avec le conte de fée dans sa représentation première, le film montre surtout les derniers moments de l’enfance et la perte aussi bien métaphorique que physique de l’innocence.      

La Prison de Cristal (1986)

Un film de Agusti Villaronga.

Le Dr Klaus, ancien nazi attiré par les jeunes garçons, tente de mettre fin à ses jours en se jetant dans le vide. Il survit, intégralement paralysé et à présent totalement dépendant du jeune infirmier appelé à son chevet.

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Changement de registre total : l’innocence est complètement mise en éclat dès les premières secondes du film. Avec ce huis clos étouffant et dérangeant, Agusti Villaronga signe une oeuvre plastiquement superbe où le suspense est rythmé par chaque souffle de son anti-héros, tout comme l’inéluctabilité des événements qui prennent vie devant nos yeux, repoussant les limites de son spectateur à un point de non-retour dans un plan final tétanisant de noirceur.

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Même s’il est facile très tôt dans le film de comprendre la véritable identité d’Angelo grâce à une mise en scène millimétrée où chaque scène entre Klaus et Angelo, dans les échanges de regard ou les silences, rythmés par le son du respirateur, crée une tension psychologique permanente, renforcée par une magnifique photo en clair obscur.  1111

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Mais la rencontre entre les deux personnages et leur entourage proche et ce suspense de chaque instant n’est que la première strate d’une oeuvre qui mettra vos nerfs à rude épreuve.

Le récit des confessions des actes sadomasochistes du nazi n’est que le point de départ insoutenable du film où l’infirmier s’avère être une réincarnation pure et simple de Klaus. Il reconstitue en direct, sous les yeux du paraplégique, mais surtout sous celui horrifié du spectateur, les expériences perpétrés par le tortionnaire.

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Le film est au croisement entre le giallo sous forte influence de Dario Argento et le thriller Hitchcockien (avec clin d’oeil à Shining), le rape and revenge et le torture porn, rien ne vous sera épargné durant ses 111 minutes ; d’une bande-son assourdissante à une tension de tous les instants, La prison de Cristal est un film qui vous remuera les tripes autant qu’il mettra vos nerfs à l’épreuve au point de tester vos limites à un point inimaginable.

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Philippe Orlandini

Chroniqueur cinéma, séries et actu geek en général. On me dit le sosie de quentin tarantino et de voldemort.