Harry Potter : une incitation à rêver ou à vivre ?

On pouvait penser que tout a été dit sur Harry Potter : cela fait maintenant huit ans qu’a été publié le dernier tome de la saga, quatre ans que le dernier film adapté du phénomène est sorti sur les grands écrans. Le public est passé à d’autres succès littéraires : Twilight, Hunger Games…

Pourtant on reparle à nouveau un peu du petit sorcier à lunettes, à l’occasion de l’exposition qui lui est en ce moment consacrée à la Cité du Cinéma (Saint-Denis). Une bonne opportunité pour nous demander ou nous redemander ce qu’a apporté le best-seller de la britannique J.K. Rowling à toute une génération de jeunes (et moins jeunes) lecteurs. Sept livres à lire et à relire et huit films à voir et à revoir, certes. Mais est-ce tout ? Harry Potter ne nous pousse-t-il pas aussi à prendre du recul par rapport à notre monde et ne nous apprend-il pas à mieux y vivre ?

Le monde des sorciers : un rêve devient réalité… pour Harry, mais pas pour nous

L’auteur de la saga Harry Potter a cherché à rendre concret et moderne un monde de la magie que nous connaissons par les contes des fées. D’ailleurs, le premier tome, Harry Potter à l’Ecole des Sorciers, a des traits communs avec le conte de Cendrillon : l’histoire commence avec un enfant faible, différent, détesté et maltraité par la famille dans laquelle il vit, forcé à accomplir des tâches ménagères, alors que l’aîné (en l’occurrence, son cousin) est outrageusement favorisé. Puis la vie du héros bascule avec l’irruption de la magie, la bonne fée marraine ayant ici l’apparence d’un géant barbu et hirsute (Hagrid). Il découvre alors un monde merveilleux où il trouve sa place. Et la saga, comme toute belle histoire, se termine bien, l’épilogue et le « Tout allait bien » final faisant office de « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».

Le personnage principal trouve ainsi une échappatoire idéale : il découvre un monde magique qui dépasse ses rêves les plus fous, où il se découvre des qualités extraordinaires et où il est acclamé comme un héros. De son côté, le lecteur, qui s’identifie à cet orphelin et à ses faiblesses, est heureux de s’évader dans ce monde où tout est possible et où, à travers le personnage principal, il suit une destinée exceptionnelle !

Problème ?

Le monde des sorciers est réel dans la vie de Harry ; le monde de Harry est irréel dans le nôtre. Si Harry a tous les droits de vivre dans cet univers, sommes-nous amenés à demeurer plongés dans ce monde imaginaire ? Le lecteur enfant ou adolescent ne risque-t-il pas de s’enfermer totalement dans ce monde créé, et de s’y complaire en rejetant la réalité dans laquelle il vit ?

Eh bien, non : dans la saga, les avertissements contre la tentation de privilégier le rêve à l’existence réelle sont récurrents. Ils nous incitent à ne pas demeurer passifs en nous plaignant des difficultés, des déceptions et des injustices auxquelles nous nous heurtons dans la réalité, mais à prendre notre existence en main.

Avertissements contre la tentation de rêver

Si Harry a désormais un foyer, Poudlard, où il peut exercer la magie et vivre avec ses amis, ces temps heureux ont toujours un terme : après chaque année scolaire, il lui faut passer l’été chez les Dursley (comme nous les lecteurs, qui devions après chaque tome retourner à notre petit quotidien en attendant la suite…). C’est Albus Dumbledore, le protecteur de Harry, qui souhaite ces retours réguliers dans le monde « moldu » (non magique).

La raison en est que son élève ne doit jamais cesser de considérer la maison 4, Privet Drive comme sa maison (du moins jusqu’à sa majorité). Le but est, dans le roman, de maintenir une protection magique mais nous pouvons aussi y voir une incitation – adressée à Harry et à nous-mêmes – à ne pas nous complaire éternellement dans le monde magique au point d’oublier d’où nous venons.

Un monde pas si merveilleux que cela

Dumbledore est à l’origine d’un autre avertissement du même genre : dans le premier tome, L’Ecole des Sorciers, Harry se trouve captivé par le miroir du Risèd, qui lui permet de contempler à loisir sa famille, qu’il n’a jamais connue. Il en vient à oublier tout le reste et à ne plus attendre que la nuit, où il peut retourner voir le miroir en cachette. Dumbledore doit alors lui rappeler que « ça ne fait pas grand bien de s’installer dans les rêves » (chap.12). La leçon vaut autant pour Harry tenté de rêver, que pour le lecteur tenté de rester plongé dans ses rêves « en oubliant de vivre » (idem).

On peut aussi remarquer que ce monde magique que Harry et nous découvrions avec émerveillement, n’est pas aussi rose qu’à première vue. Si la magie permet de faciliter le quotidien (ce serait agréable de pouvoir faire la vaisselle d’un simple coup de baguette !) ou d’accomplir des choses merveilleuses, elle ouvre aussi la voie aux pires atrocités (voir, par exemple, les Sortilèges Impardonnables). Pendant sa scolarité à Poudlard, Harry traverse des épreuves et apprend les horreurs commises par Voldemort, ce qui lui fait prendre du recul par rapport à ce monde qu’il avait idéalisé. Le lecteur est donc amené à se dire que la réalité a ses défauts. Mais que celui de la magie en a aussi !

Prendre sa vie en main

C’est essentiellement dans le septième et dernier tome (Les Reliques de la Mort), quand Voldemort a pris le pouvoir, que Harry renonce définitivement à une attitude passive. Il quitte le milieu protégé de Poudlard et part affronter le monde réel.

Cependant le temps vécu hors du monde moldu ou de la réalité n’est absolument pas inutile : à Poudlard, Harry s’est trouvé des amis fidèles qui partagent ses idéaux, a appris à mieux se connaître et s’est forgé des armes. Tout cela lui sert dans le combat qu’il mène pour construire un monde meilleur. Harry tire donc des fruits bénéfiques de ses évasions. Il sait désormais faire la part entre les rêves réalisables, et ceux auxquels il faut renoncer, parce qu’ils sont soit impossibles (revoir les proches décédés), soit mauvais (le pouvoir absolu), soit les deux (l’immortalité).

A l’opposé, Voldemort serait celui qui n’a pas su renoncer à ses rêves de grandeur et d’éternité. Il rejette le monde qui l’a rejeté quand il était orphelin, et veut y substituer le monde de ses rêves, où tout est à ses pieds, quitte à détruire tout ce qui lui fait obstacle. Il est vrai que, comme il était un élève brillant auquel les professeurs promettaient un grand avenir, il était encouragé à croire qu’il était véritablement capable de dominer le monde, et était beaucoup moins porté à renoncer à ses rêves que l’élève médiocre qu’était Harry.

Un avertissement

Ainsi, la saga de J.K. Rowling, loin de chercher à nous enfermer dans un monde imaginaire, nous pousse à prendre du recul par rapport à notre monde, pour mieux y vivre. Harry Potter avertit les jeunes lecteurs avides de se plonger dans un monde merveilleux où toutes les barrières de la réalité sont abattues. Le recours à un monde imaginaire n’est bénéfique que s’il doit servir en fin de compte à bâtir une critique édifiante de la réalité. À donner la force nécessaire pour construire un monde meilleur. S’il sert seulement à rejeter avec encore plus de répugnance le réel, cette évasion devient nuisible pour nous et pour notre entourage. Que cette évasion ait lieu dans notre propre imagination, un film ou un livre… fût-il Harry Potter !

Par Mathilde PREVOST