Jason Dodge à l’IAC de Villeurbanne : un spectateur-acteur face à un art dépouillé

Pour son exposition in situ de la rentrée, l’IAC (Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne) a laissé carte blanche à Jason Dodge, artiste plasticien américain. L’exposition intitulée Behind this Machine Anyone With a Mind Who Cares Can Enter (Derrière cette machine tout esprit attentif peut entrer) est présentée depuis le 16 septembre et est visible jusqu’au 6 novembre 2016.

 

Vue de l'exposition Jason Dodge, Behind this machine anyone with a mind who cares can enter. © Blaise Adilon
Vue de l’exposition Jason Dodge, Behind this machine anyone with a mind who cares can enter.
© Blaise Adilon

 

Jason Dodge, artiste américain de 47 ans basé à Berlin, voit son travail souvent qualifié de minimal et poétique. Il utilise dans ses installations des objets principalement issus du quotidien. Depuis une quinzaine d’années, l’artiste est régulièrement exposé en France et on avait déjà pu apprécier son travail à l’IAC en 2012.

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En pénétrant dans l’espace imaginé par Dodge, on est d’abord surpris par la presque nudité de la première salle. Les murs ont été laissés blancs et, sur le sol, s’amoncellent feuilles mortes et objets divers. Le concept se répète d’une salle à l’autre et uniquement les objets posés sur le sol changent. Seulement trois salles possèdent un dispositif différent. L’une est ornée de deux miroirs accrochés face à face au plafond. La deuxième est équipée de néons roses et blancs changés en permanence sous nos yeux et la dernière salle est quasiment vide.

Au premier abord, un art élitiste qui ne révèle rien de son sens caché 

Face à ce dénuement, le spectateur est frappé par l’absence de tout support écrit, ni cartel, ni panneau explicatif. Le visiteur est donc livré à lui-même, déambulant entre les boîtes de médicament vides, les pièces de monnaie et les emballages alimentaires qui tapissent le sol. Les visites gratuites organisées par l’Institut le weekend ne semblent pas non plus pouvoir fournir d’éclairage au visiteur. En effet, sur le site internet de l’IAC, il est précisé qu’aucune visite guidée à proprement parler ne sera réalisée. Au premier abord, l’exposition peut donc s’apparenter à tout ce que l’on aime détester dans l’art contemporain, un art élitiste qui ne révèle rien de son sens caché.

« Qu’est-ce qui fait que l’on remarque ou non les choses ? »

Le spectateur dispose toutefois d’un outil pour le guider dans sa découverte de l’espace imaginé par Dodge : le guide-visiteur rédigé par l’artiste lui-même. On y trouve une série de questions que Dodge nous pose telles que « Avez-vous remarqué que porter une attention à chaque détail qui vous entoure rend les choses que vous connaissez bien moins banales ? » ou encore « Qu’est-ce qui fait que l’on remarque ou non les choses ? ». En nous questionnant ainsi, l’artiste semble vouloir nous livrer des clés de compréhension de sa démarche.

« Laisser le spectateur appréhender l’œuvre sans conditionner son regard et son expérience »

L’approche artistique adoptée par Dodge consiste à « laisser le spectateur appréhender l’œuvre sans conditionner son regard et son expérience » peut-on lire sur site de l’IAC. L’artiste n’apporte pas de réponses au spectateur, mais l’encourage à s’attarder sur les éléments qui composent son environnement. En cherchant à répondre aux questionnements de Dodge, le visiteur est amené à devenir un visiteur-acteur qui appréhende par lui-même les œuvres et détermine sa propre expérience de visite.

En attirant notre regard vers les miroirs accrochés en hauteur ou vers les objets disposés au sol, Dodge nous invite à nous intéresser à toutes les dimensions de l’espace qui nous entoure. Pour renforcer l’hyperstimulation des sens du visiteur, Dodge a mis en place dans la deuxième salle un système de ventilation dégageant une odeur particulière. Le choix des feuilles mortes dégageant une odeur organique dans les premières salles de l’exposition confirme la volonté de l’artiste de mettre tous nos sens en éveil. Par ces dispositifs, Dodge semble vouloir nous encourager à nous arrêter davantage sur les détails de la vie quotidienne.

Des objets altérés et détournés de leur usage quotidien

En s’attardant sur les objets collectés par Dodge, on comprend que ce qui intéresse l’artiste se concentre sur le fait que chaque objet ait été altéré par l’homme. Les objets de Dodge sont marqués par l’utilisation que l’homme en a fait, ce qui n’est pas sans rappeler les oreillers qu’il avait présentés lors de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon en 2013 et qui conservaient la forme de ceux qui avaient dormi dessus. Les paniers disposés dans la dernière salle ne sont plus de simples paniers vides mais ont été tressés par des personnes malvoyantes. On comprend alors que ce qui importe pour Dodge est la trace laissée par l’homme dans son environnement. Chez Dodge, tous les détails sont importants, tout mérite d’être lu.

Le visiteur au cœur de la démarche artistique, antithèse d’un art élitiste

En pénétrant dans l’espace imaginé par Jason Dodge, le minimalisme des installations nous est apparu comme étant l’adage d’un art élitiste, mais la poursuite de l’exposition nous a convaincu de l’inverse. Si Dodge ne nous fournit pas des clés de compréhension explicites, ce n’est pas parce qu’il considère que son public possède les connaissances artistiques pour saisir son message. Au contraire, l’artiste estime que c’est l’expérience que chacun fait de son travail qui est importante et non la compréhension d’un message. Une approche intéressante dans laquelle le visiteur est ramené au cœur de la démarche artistique, l’antithèse donc d’un art contemporain élitiste.