Killer Joe : un mal qui fait du bien

Drame criminel américain (2011) de William Friedkin.

Avec Matthew McConaughey, Emile Hirsh, Juno Temple, Thomas Haden Church et Gina Gershon.

Un jeune dealer paumé décide d’engager un flic tueur pour se débarrasser de sa mère et obtenir l’assurance vie lui permettant de payer ses dettes. Mais Killer Joe veut en échange la virginité de la propre sœur de son employé. D’étranges relations se nouent.

Petite précision, ce film ne parle de l’envie de tuer  de notre confrère et collaborateur Jonathan Placide, alias Joe pour les intimes.

IT IS A FRIEDKIN FILM

Non, ce film parle surtout de la vision d’un cinéaste important, très subversif et qui a déjà prouvé qu’il pouvait retourner idéologiquement sa veste tout en restant finalement extrêmement corrosif, dérangeant, contestataire, rigolard et en colère.

Killer Joe est une adaptation d’une pièce de théâtre par l’auteur lui-même, Tracy Letts. Friedkin commence à connaître bien l’univers du dramaturge puisqu’il avait signé une première collaboration en 2006, avec l’intrigant Bug.

Le premier élément qui fait profession de foi, c’est la manière avec laquelle l’origine scénique est un moteur pour Friedkin pour dynamiter son découpage. Il respecte les dialogues, les unités de lieux et de temps mais se permet de donner une dimension beaucoup plus visuelle, plus sémantique à son film.

Dès lors, même si le film demeure fidèle à sa source, ce qui rend le tout passionnant, c’est de voir que tout semble fait pour un cinéaste comme Friedkin. A tel point que le film peut passer allégoriquement comme la retranscription de la place qu’a le réalisateur dans le cinéma américain, en ce début de décennie.

Killer Joe, c’est un miroir du cinéaste. Un crachat démentiel sur l’édulcoration générale du cinéma. Un pavé dans la mare du politiquement correct. Un caillou dans des chaussures qui ne grincent plus sur le sol.

Mêlant humour noir, tendresse mélancolique, perversité des sentiments, immoralité, transgression de la famille, dépendance à l’argent, le film est un fourre-tout cohérent dont la sournoiserie et la méchanceté trouveront une apogée dans un dernier quart d’heure totalement démentiel, extrêmement violent.

Finalement, même si le film n’est pas le meilleur du cinéaste, il possède cette capacité de mettre mal à l’aise son spectateur. D’ailleurs, quasiment toutes les œuvres de Friedkin nous ont souvent poussé dans nos retranchements, au point de laisser les portes ouvertes à différents points de vue et pistes de réflexion. Le personnage de Popeye Doyle dans The French Connection (1971) et son comportement final nous renvoyait déjà en pleine tronche toute l’ambiguïté de la condition humaine.

Et  dans  ce chef-d’œuvre intitulé The Exorcist (1973), qu’une petite fille de 13 ans possédée par le démon se masturbe jusqu’au sang avec une croix chrétienne bouscule toute notion religieuse et sexuelle, autrement dit deux sujets des plus sérieux et parlés dans le monde. Qu’une star comme Al Pacino joue les infiltrés dans des boîtes gay sadomasochistes et trouve que son identité vacille dangereusement dans Cruising (1980), et c’est le cinéphile rassuré par l’identification d’un protagoniste qui ne sait plus ce qu’il doit penser. Dans Killer Joe, vous saurez enfin qu’un morceau de poulet n’est pas le symbole de la nourriture américaine, mais celui de la luxure, comme en témoigne une séquence hallucinante du film (ainsi qu’une des affiches promotionnelles).

COLERE, QUAND TU NOUS TIENS…

Il est difficile de résumer le film. Grâce à la perfection de l’interprétation, le film nous fait croire et aimer un tant ces personnages tous pourris. Affreux, sales et méchants comme nous dirait Ettore Scola. Les valeurs changent d’un moment à l’autre, du romantisme à l’envie de tuer.

Beaucoup de gens pensent que le film est gratuit, choquant et abject. Ces critiques, ça fait plus de 50 ans que le cinéma de Friedkin les reçoit. L’homme ne change pas, malgré ses 77 ans bien tassés.

Même si leur style et leurs films n’ont rien à voir, Friedkin se range aux côtés des vieux briscards que furent Peckinpah, Altman ou encore Sidney Lumet dans leurs derniers opus. Des aigris ou des lucides, ou probablement les deux, des cinéastes très talentueux qui ne s’embarrassent jamais et sont proches de leurs convictions du moment.

Killer Joe, c’est du cinéma sec mais volontairement plein de gras, un paradoxe dans le cinéma aujourd’hui et pourtant qui ne ressemble qu’à du Friedkin.

En gros, un doigt d’honneur bien crade, jouissif et « malaisant » à la fois. Ca change et ça marque !!!