Les Frères Coen et l’Odyssée de Llewyn Davis

Dans le New York des années 1960, au Greenwich Village, nous suivons durant une semaine la vie de Llewyn Davis, chanteur méconnu, qui va réussir à nous charmer à travers ses périples et son quotidien bohème.

Inspiré de l’autobiographie du chanteur Dave Van Ronk, Inside Llewyn Davis retrace la trajectoire solitaire d’un personnage à la fois odieux et attachant. Sorti il y a un mois, le 16e film des Coen connaît déjà un grand succès. Il a reçu le grand prix du jury au dernier festival de Cannes et a révélé au grand public l’acteur et musicien Oscar Isaac. Une comédie dramatique avec beaucoup d’humour noir, de charme et de musiques envoûtantes.

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Llewyn Davis cherche la reconnaissance en tant que chanteur de musique folk, sous une simplicité apparente, le film nous raconte l’acharnement du destin à compliquer sa vie et celle des autres. Les Coen nous parle d’un laissé-pour-compte, en quête d’espoir, qui doit sans cesse lutter contre le mépris et l’incompréhension de son entourage. Il est profondément seul, c’est un « hobo », ces vagabonds qui fascinent et attisent l’imagination de la folk. A travers ses fantasmes, Llewyn reste toujours au bord de la route, il ne se projette dans aucun avenir, sa vie semble lui échapper totalement et le film forme un cercle qui commence et se termine de la même façon. Il n’a pas d’échappatoire, pas d’attache, Llewyn Davis déambule dans les rues et les métros en plein hiver new-yorkais, son errance est marquée par les différentes métaphores comme celles d’Ulysse ou de la marine. Il y a une dimension noble dans ses défaites, il est amer de son statut instable, mais refuse de se conformer. Llewyn Davis est un des pionniers de la musique folk, hymne de protestation méprisé par les élites dans les années 1960. Il est la représentation de l’antihéros cynique et encombrant. Inspirant à la fois la pitié et l’empathie, les Coen mettent en lumière un personnage qui reste dans l’ombre à travers les multiples rencontres absurdes ou cruelles auxquelles il va se confronter.

L’introduction du film nous invite dans l’ambiance sombre et chaleureuse du Gaslight Café, situé dans le quartier symbolique de la naissance de la musique folk qui réunit des puristes et des artistes inconnus. C’est le café historique qui a fait connaître Bob Dylan (dont le fantôme est omniprésent tout au long du film). Le film est aussi un discours sur la condition d’artiste et la critique d’un système commercial. On rapproche beaucoup Inside Llewyn Davis du road-movie par son contexte historique et l’idéal de liberté auquel le héros aspire. Le road-movie est présent symboliquement mais aussi visuellement par une traversée chaotique de l’Amérique, un passage où Llewyn doit entreprendre un long périple vers Chicago accompagné de deux personnages opposés : un chanteur de jazz méprisant et son chauffeur très silencieux qui rappelle le personnage de Gaear Grimsrud dans Fargo. Le film est marqué par de nombreuses références culturelles : musicales, historiques ou cinématographiques. Inscrit dans une mythologie américaine et populaire, le chanteur est dans un contexte politique qui précède mai 68 et ses bouleversements culturels dont l’arrivée de la folk. Il n’est pas dans son temps, en écho à Tommy Lee Jones dans No Country For Old Men, il n’est pas à sa place. Ce sont des personnages qui songent à une « mythologie américaine » avec nostalgie ou amertume. Le grand paradoxe de Llewyn Davis est sa capacité à être en perpétuel mouvement sans jamais accéder à une évolution (le seul « exploit » qu’il réalise est le voyage vers Chicago), le personnage ne sort pas « grandit » de ses épreuves.

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Joel et Ethan Coen, qui se placent toujours entre les films noirs (Miller’s Crossing) et les comédies burlesques (Burn After Reading), nous offrent un genre qui contraste, à la fois très mélancolique, sombre et en même temps amené avec beaucoup d’humour et de bienveillance. La musique a un grand impact dans l’univers des réalisateurs, ils font renaître des genres cinématographiques et musicaux longtemps méprisés ou oubliés. Souvent comparé à O’brother (2000) par sa dimension musicale, on peut également rapprocher le film de The Big Lebowski (1998) mettant en scène le même genre de personnage atypique, vautré dans la médiocrité et qui va devoir surmonter un destin qui s’acharne, on retrouve d’ailleurs l’acteur John Goodman présent dans les deux films, interprétant des personnages arrogants et agressifs. Le film peut surprendre, car il est très différent de la filmographie à laquelle les Coen nous avaient habitués, qui était plus « efficace », mais on retrouve leur mise en scène d’une humanité confrontée à un monde cruel, une fatalité et la prédominance du personnage sur l’action.

Un film avec une atmosphère à la fois chaude (comme True Grit ou No Country For Old Men) et froide (Fargo, Le Grand Saut), Inside Llewyn Davis allie l’humour et la noirceur. L’épopée de cet éternel vagabond qui lutte pour exister, sur une bande originale magnifique, impose, encore une fois, les frères Coen dans le meilleur du cinéma contemporain.

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Inside Llewyn Davis, Joel & Ethan Coen, en salle depuis le 6 novembre 2013

Avec Oscar Isaac, Carey Mulligan & John Goodman