Mireia Saladrigues, comment joue-t-on les spectateurs ?

Du papier bulle recouvrant entièrement le sol, une absence d’œuvre au mur, aucun bruit. Pour le visiteur mal averti, la galerie BF15 apparaîtra comme un lieu en rénovation. Il pourrait en effet s’agir d’une forme de chantier, puisque l’œuvre réalisée par l’artiste espagnole Mireia Saladrigues, dans le cadre du Off de la Biennale de la danse, est en perpétuelle construction. Chaque personne s’aventurant dans le lieu  est inévitablement amenée à créer du nouveau par le simple fait de se déplacer dans l’espace, de faire exploser l’œuvre un peu plus à chaque pas, de créer une ambiance sonore toujours singulière.

Si la situation peut paraître inconfortable de prime abord, c’est que le visiteur doit réinventer son rapport à l’œuvre : il n’est plus le spectateur religieusement silencieux et contemplatif du musée, mais bien l’acteur indiscret de l’œuvre qui l’attend. Chaque corps laissera alors sa trace individuelle à l’intérieur de l’œuvre en troublant les frontières entre la création et la réception dans le travail artistique.

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Mireia Saladrigues nous livre à une réelle expérimentation spatiale qui est aussi une réflexion sur le statut du public et sur ses pratiques. Le film projeté au fond de la salle, qui nous donne à voir des danseurs arpentant un même lieu blanc et mimant les pratiques sociales courantes face à l’art, remet en question nos habitudes réceptives et les codes propres à une gestuelle et à une démarche du spectateur. Si rien n’est à voir et si rien ne sert de piétiner devant l’œuvre absente, il faudra alors sortir de toute convention comportementale. Aucun prérequis n’est désormais nécessaire pour faire l’expérience de l’œuvre. À la fois ludique et conceptuelle, elle s’adresse aux plus jeunes comme aux experts, certains voudront la dévorer en crevant frénétiquement chaque parcelle de bulles plastiques sous leurs pieds, d’autres tenteront de garder le matériau intact, mais quoi qu’il en soit, il s’agit bien pour Mireia Saladrigues de réarticuler le rapport de l’œuvre et du public en questionnant les mécanismes institutionnels qui le régissent.

Les préoccupations et réflexions de notre artiste sont à lire dans Mi Museo1, son recueil de conversations à ce sujet. Elle interroge la formation, par les institutions culturelles, de certaines pratiques normalisées du public allant de pair avec une logique de surveillance et de balisage des œuvres et des comportements. Cependant, elle s’intéresse aussi à la fonction économique de l’art, puisque le support de son œuvre est soumis à une continuelle dégradation, et que son contenu est instable et relatif au bon vouloir des visiteurs.

Somme toute, si l’exposition intitulée Avant que les gestes ne deviennent paroles est déroutante par bien des aspects, c’est que l’artiste veut déranger nos habitudes et nous fournir les clefs d’un nouveau rapport à l’art, elle affirme : « J’aspire à introduire la polémique autour de la signification réelle de la pratique de l’art et de son importance empirique pour le visiteur. »

L’œuvre reste ouverte à toute participation jusqu’au 8 novembre à la galerie BF15, au 11 quai de la Pêcherie. Pour plus d’information, rendez-vous sur le site web de l’artiste ou sur celui de la galerie.

1 Mi Museo :  conversations éditées par Oriol Fontdevila. Publié dans The End Is Where We Start From catalogue.