Nocturama : quand Bonello cauchemarde Paris

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Difficile de se faire un avis sur le dernier film de Bertrand Bonello tant il a été ballotté par les réactions tumultueuses de la presse et du public. C’est donc avec curiosité qu’ArlyoMag est allé jeter un œil au nouveau film du réalisateur de Saint Laurent et de L’Apollonide.

Ce qui peut mettre le spectateur mal à l’aise dans Nocturama, c’est la figuration d’une réalité fantasmée qui semble trop proche de nous et dont il est difficile de faire abstraction. Bonello écrit le scénario de Nocturama (qui s’appelle alors Paris est une Fête en hommage à l’ouvrage d’Hemingway dont les ventes s’envoleront après les attentats de Paris) en 2011 et met son projet en stand-by pour tourner Saint Laurent. Malgré les attentats de Paris, le cinéaste décide de mener à terme son projet, la rébellion d’une jeunesse sans conviction évidente qui, par désir de rébellion, va commettre une série d’attentats dans la capitale.

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La déambulation : acte de naissance d’une paranoïa collective 

Le film commence par un inquiétant ballet de gestes et de mouvements où les personnages nous apparaissent un à un, accomplissant dans le métro ou dans la rue des gestes apparemment anodins (s’asseoir dans le métro, traverser une station, regarder sa montre) et tout à la fois profondément étranges (les téléphones sont jetés simultanément dans les poubelles du métro), ce qui crée une atmosphère de tension. La brièveté, l’enchaînement net des plans et l’apparition d’un timer contribuent à créer un sentiment d’immersion comme si le spectateur tout comme les passants subissait le temps dont seul les jeunes semblent être maîtres.

Le choix d’un cadrage épaule récurrent et de la caméra portée semble vouloir faire de ces déambulations un mouvement du quotidien (les personnages filmés de dos qui marchent dans le métro, dans la rue, etc.), tout en les singularisant profondément (l’identification précise des visages des protagonistes qui rattache les gestes à une identité). Cette tension paradoxale entre individualisation et regroupement est permanente au sein du film. Pourtant, si Bonello a affirmé avoir diversifié les origines de ses protagonistes pour éviter l’effet de segmentation sociale, le spectateur relèvera, non sans ironie, que le réalisateur se contredit dans la construction même de son film, comme en témoigne l’enchaînement de certains flash-back (David, Sarah et André se retrouvent dans un café pour évoquer leurs études à Science Po, ils sont servis par Yacine que l’on retrouve ensuite auprès de Sabrina, Samir et Mika au pied de leur immeuble de la banlieue de Paris).

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De la dépersonnalisation du geste à l’émotion individuelle 

Si l’action accomplie ensemble tend à souder le groupe et à dépasser ses individualités (à la veille de leurs attentats, la bande se retrouve dans la maison de Greg et finit par s’adonner, une fois l’acte planifié, à une scène de danse aérienne où les corps se rencontrent pour ne finalement former qu’un seul bloc), la seconde partie du film, une fois la série d’attentats accomplie et la bande retranchée dans un grand magasin, tend à renouer avec cette individualité de chacun et de l’ émotion face aux répercussions de ses actes.

Ce qui gêne profondément le spectateur, c’est la déconnexion totale des personnages avec la réalité de leurs actes alors que ceux-ci contemplent sur les multiples télés du grand magasin le flux continu d’images d’explosions assortis d’informations incertaines et paniquées des médias. L’un d’eux s’exclame alors : « j’espère qu’il n’y a pas de morts ». Cette parole n’apparaît pas comme celle d’un manque de conviction mais d’une inconscience profonde et gênante des personnages ; une inconscience qui traverse tout le film et qui crée chez le spectateur un sentiment de gêne profond.

Quand bien même Nocturama serait imprégné malgré lui d’événements réels survenus avant son tournage, si le film était sorti avant cette problématique n’en aurait pas été moindre. En témoigne la scène malaisante du caméo d’Adèle Haenel qui est porteuse d’une parole de fatalisme et de passivité : « ça devait arriver, on le savait, ça arrivera encore », qui ne peut contribuer qu’à entretenir la peur. De même qu’il est gênant pour des personnages, apparemment caractérisés par l’absence de convictions manifestes, d’évoquer le paradis en récompense d’actes qu’ils sont « les premiers à avoir accomplis ».

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L’assaut final, ou une tentative de justifier la violence 

La scène finale achève de jeter chez le spectateur le malaise et le trouble. Le grand magasin est pris d’assaut par une unité d’élite et dès lors commence une longue scène de mise à mort des retranchés, dévorés par la peur de mourir, et qui seront exécutés un par un (à commencer par le couple de SDF innocents que David avait fait entrer dans le magasin pour qu’ils y soient au chaud et y trouvent de la nourriture). Comme pour justifier et atténuer la violence de la scène, le flash d’informations qui précède nous aura prévenu que les forces de l’ordre ne sont plus tenues de négocier avec les retranchés.

Dès lors commence une traque qui n’en est pas une, où chacun est abattu froidement, jusqu’au dernier des jeunes adultes dont les appels à l’aide envoyés aux forces de l’ordre résonnent dans le silence, ironiquement rendu muet par la dernière image du film, les flammes dévorant l’écran, les mêmes que sur les écrans de télévision qui diffusent inlassablement les explosions. Ce n’est donc pas tant dans les liens qu’il entretient avec l’actualité que Nocturama pose problème mais dans ses apparents partis-pris qui, s’ils n’étaient que le fantasme d’une réalité inconnue de nous, ferait de lui un triste et inquiétant présage.

Laurine Labourier