Phantom of the Paradise, au Comœdia

Probablement un des plus grands chefs-d’œuvre de Brian De Palma, Phantom of the Paradise arrive à Lyon en copie neuve restaurée. Le Comœdia lance la diffusion le 26 février, l’occasion de rappeler la modernité et l’énergie du film encore aujourd’hui.

Sorti en 1975, au cœur de la période du nouvel Hollywood, Phantom of the Paradise était un projet ambitieux de mélanger des genres très différents tels que la comédie musicale, romantique, le film d’horreur, fantastique… C’est une formidable histoire au cœur de l’opéra rock très influencé par la culture pop art et la littérature comme Faust (vendre son âme au diable pour atteindre le pouvoir) de Goethe, Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde ou encore Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux.

 phpThumb_generated_thumbnailjpg

Phantom of the Paradise sort dans la lignée des films « surnaturels » de De Palma, de même que Carrie au bal du diable ou Furie, c’est un film éblouissant, dans la démesure du visuel avec une bande originale inoubliable. Nous avons plusieurs histoires en parallèles (comme souvent chez De Palma) : celle d’un compositeur de musique maudit et méprisé, Winslow Leach qui va tomber sous le charme d’une jeune chanteuse (Phoenix) et se faire manipuler par une superstar de la musique : Swan qui va tout lui voler (sa liberté, sa femme, sa voix… et surtout ses chansons). Phantom of the Paradise dénonce la condition de l’artiste intègre face à la société de consommation : destruction, mise à mort de l’artiste isolé et tenu à distance des lieux de pouvoir. On veut couper sa musique, ainsi que les producteurs tailladent et censurent les films, De Palma en a beaucoup souffert et cette satire revient presque toujours (Body Double, Blow Out…). Le personnage de Winslow est le seul individu « normal », il est dans un tel contraste face aux autres personnages qu’il semble surnaturel, pour se venger, il va devenir le « fantôme » et hanter le Paradise, un lieu de l’opéra rock où tout est démesuré et superficiel.

Swan est producteur de musique (autant qu’un Dieu, il crée le « Paradise » ), c’est lui qui décide quelle est la musique que les foules écouteront demain. Il est représenté de manière complètement divine dans ses apparitions (fumée, « voix off », déclenche l’hystérie sur son passage, « harem », habits blancs…), une métaphore de Big Brother, d’une personne qui observe et contrôle tout, il apparaît tard dans le film, au début on ne fait que l’entendre en référence au Parrain et aux Chaussons rouges. Il est mafieux, corrompu et exerce un culte de sa personnalité puissant. Il y a une forte propagande sur cette icône, cette image artificielle, il incarne le monopole économique et industriel diabolisé. Swan est une figure récurrente chez Brian De Palma, il est semblable à Tony Montana (Scarface), au sergent Meserve (Outrages) ou encore à Sherman McCoy (Le Bûcher des vanités), ce sont des hommes illustrant le monde capitaliste. Violents, ils vivent dans une vision fausse de la réalité, car leur autorité et leur entourage leur renvoient une image déformée du monde, le pouvoir les amène à la destruction et les prive de toute humanité (le seul geste humain de Montana entraînera sa chute). Winslow va littéralement signer un pacte avec le diable (symbole récurrent du réalisateur par la suite).

title_phantom_of_the_paradise_blu-rayLe thème de la dualité est fort, il y a de nombreux « double » (Winslow et le fantôme, le vrai et le faux…), toutes les identités sont en conflit. Phoenix va également se donner entièrement à Swan, se vendre pour réussir. La foule est un personnage à part entière qui représente cette société de consommation très cruelle, elle s’extasie de la mort des artistes sur scène (mort de Beef, puis la programmation de la mise à mort de Phoenix). Un grand mélange de styles de musique montre la culture de masse et la faculté des foules à s’adapter, aduler, oublier, puis rejeter ce qu’on leur donne et qui est souvent des « produits » totalement grotesques. Le public est une masse abrutie, sans aucune réflexion, aucune fidélité, nous sommes des spectateurs consentants et nous permettons au système de vivre et de nous influencer. Nous aussi, nous avons soif de violence, on retrouve l’aspect constamment très voyeuriste du réalisateur.

Dans cette forte satire du monde capitaliste, la violence est omniprésente à travers l’injustice subie par Winslow, les éléments du film d’horreur comme le sang, le personnage du fantôme, le visage de Swan monstrueux physiquement à la fin… C’est une véritable tragédie (présentée avec humour), Winslow ne sera reconnu qu’après sa mort par Phoenix, il doit disparaître pour atteindre la reconnaissance de son œuvre et de son existence. Cette fin est très belle et très ambiguë, on ne peut distinguer où se trouvent la réalité et le spectacle.

Dans ce totalitarisme, personne ne sort vainqueur, la réplique du film définit l’intrigue, « c’est l’histoire d’une musique, de l’homme qui l’a crée, de la fille qui l’a chantée et du monstre qui l’a volée ». Au final, le monstre est-il réellement le fantôme ?

Grand classique à voir et revoir !