Rencontre : Philippe Lafeuille, chorégraphe passionné
chorégraphe

C’est dans un café à la déco la plus stylée de Lyon[1] que j’ai rencontré Philippe Lafeuille, dont le spectacle Tutu a tout raflé : prix du public 2015 au festival off d’Avignon, reconduit à plusieurs reprises dans différentes salles, notamment à la Maison de la Danse pour une seconde saison, où il était joué du mercredi 23 au dimanche 27 mai.

Si le précédent spectacle de la compagnie Chicos Mambos avait déjà connu un large succès, Philippe Lafeuille reste humble, et ne sait expliquer son succès : « Le succès, c’est assez étonnant, je suis toujours surpris ». Mais en réalité, le succès, c’est tout à fait logique que les Chicos Mambos le connaissent.

Chicos mambos : un premier spectacle qui « a fait badaboum à Barcelone »

La compagnie naît d’une histoire d’amour catalane. Le Barcelone d’il y a vingt ans voit se former, de façon innocente et instinctive, les Chicos Mambos. Simple et efficace, à l’image du premier spectacle que Philippe Lafeuille et ses deux amis espagnol et vénézuélien montent alors :

« On a commencé à faire comme des petits sketchs, en rigolant, dans la salle à manger, et puis j’ai senti qu’il y avait un truc, je fonctionne beaucoup à l’intuition, et j’ai dit ‘bon on fait un spectacle’. »

« Barcelone Paris Caracas » se joue alors dans une petite boutique de vêtements vintage où, selon les souvenirs de celui qui a consacré sa vie à la danse, tout Barcelone s’est donné rendez-vous. Composée d’humour et de danse, la recette à laquelle se tiennent encore aujourd’hui les Chicos Mambos plaît immédiatement.

Un méli-mélo de tutus

Après Méli-Mélo et Méli-Mélo 2, tous deux très appréciés du public, Philippe Lafeuille crée Tutu à l’occasion des vingt ans de sa compagnie. Joué pour la première fois sur la scène parisienne de Bobino en 2014, le spectacle en est aujourd’hui à plus de 400 représentations. « J’ai décidé de partir de l’icône de la danse qui est le tutu, d’exprimer ma vision décalée sur le monde de la danse, à travers l’humour. Mais il n‘y a pas que ça dans le spectacle ».

Photo : Michel Cavalca

En effet, Tutu est un mélange de poésie, de burlesque, de danse contemporaine, classique, de tango, de gymnastique, les danseurs ont tous des corps et des parcours différents ; et cette diversité s’accorde au message transmis par le chorégraphe à travers son spectacle :

« J’essaye de brouiller un peu les pistes. On est multiple, on peut être un homme avec une part féminine […]. Il ne faut pas avoir peur de ça. Je dis souvent que les Chicos Mambos sont des hommes qui n’ont pas peur de leur féminité ».

Un travail d’équipe

Si le scénariste dit ne pas avoir de limite, empruntant à tous les genres pour créer un spectacle finalement empli de sens, c’est notamment qu’il s’entoure et s’inspire de professionnels talentueux provenant de milieux artistiques divers.

C’est le cas de Corinne Petitpierre, « incroyable » plasticienne et costumière à l’origine des fameux tutus à partir desquels tout commence. Son travail a suggéré au metteur en scène l’utilisation de la tulle, et se trouvait parfois en amont de la réalisation d’une scène. Cela est rendu possible par une grande connexion entre les deux artistes, comme en témoigne cette anecdote : « [Avec Corinne Petitpierre] on a vraiment tilté, une fois elle est venue à une réunion avec une photo et on avait récolté la même photo. J’ai dit ‘ah bah on est connectés’ ». C’est aussi le cas d’une collaboration nouvelle pour l’interviewé, celle avec un scénariste de cinéma, son ami Romain Compingt (qui a notamment été coscénariste du film Divines), avec qui il a partagé le travail d’écriture. Techniciens et danseurs détiennent des rôles tout aussi importants dans le travail de création, qui se veut finalement être un travail d’équipe.

Philippe Lafeuille pour « Le bal des princesses ». Photo : Dan Aucante

« On ne peut pas tricher avec son public »

Si Philippe Lafeuille dirige tout, et d’autant plus dans Tutu où il s’est entièrement dédié à la mise en scène en abandonnant (partiellement) la danse, son équipe lui est bel et bien nécessaire. Il se dit d’ailleurs beaucoup porté sur l‘échange, que ce soit avec ses collaborateurs, ses danseurs ou son public.

« On est sur une scène pour échanger, partager, donner. Beaucoup se regardent le nombril sur scène, en pensant que le public ne comprendra pas. Je travaille avec le public, et c’est peut-être pour cela qu’il me le rend. »

Car s’il est proche de son équipe, le metteur en scène l’est aussi de son public : le grand, le « vrai ». C’est en effet un large public, de tout âge, de tout horizon, qui remplit les salles, et cela réconforte celui qui danse depuis plus de quarante ans dans sa volonté de « divulguer la danse partout », de « faire de la danse pour tout le monde ». Il se considère d’ailleurs lui-même comme un « chorégraphe populaire », et cet engagement se retrouve dans les actions culturelles qu’il mène auprès du jeune, voire très jeune public. Au cours d’ateliers dans des écoles primaires ou des crèches, partout en France, Philippe Lafeuille tente de leur apporter « autre chose » : la prise en compte du corps, la créativité, une folie, une vision différente.

Car/Men, une nouvelle invitation à la danse de Philippe Lafeuille

La rentrée 2019 sera le moment pour le chorégraphe d’exprimer une fois de plus sa vision décalée, à travers le nouveau spectacle des Chicos Mambos. Pour cette création naissante, entouré de la même équipe, il s’attaque à une nouvelle icône : Carmen. L’opéra le plus joué au monde héritera en effet de l’esprit Tutu, avec au rendez-vous huit danseurs dont un chanteur, les arias, des vidéos pour « moderniser cette Carmen poussiéreuse », de la jupe à volant, du torero, des robes à pois… Si selon Philippe Lafeuille, « c’est le public qui fait le succès », nul doute qu’il saura accueillir ce nouveau spectacle comme il se doit.

[1] SOFFA (Lyon Guillotière), où étaient exposés, tout le mois de mai, les œuvres transcendantes et humanistes de Théo Haggai.