Le spectacle expérimental de Bernard Werber
Bernard Werber
Bernard Werber
Bernard Werber

En parallèle de la sortie de son nouveau roman Demain les Chats, Bernard Werber (pour en savoir plus c’est ici !), auteur toulousain à succès révélé par sa trilogie sur les Fourmis, tente une nouvelle expérience : monter sur scène proposer une conférence-spectacle, Histoires Extraordinaires, Expériences Amusantes. Si la performance d’acteur reste encore balbutiante, l’expérience reste réussie devant un public conquis. Retour donc sur un spectacle surprenant.

Le spectacle de la « philosophie-fiction »

L’entrée est sobre : le quinquagénaire au visage souriant entre sur scène simplement sous les applaudissements. Une chaise, un écran, et une table. Rien de plus. La parole est encore mal assurée, et l’exercice est évidemment encore à appréhender pour l’écrivain. Les 700 spectateurs de la salle Rameau semblent l’impressionner. Mais un changement s’opère dès qu’il rentre dans le vif du sujet : un petit commentaire d’une vidéo qui l’a précédé, où l’on voyait défiler des images de l’histoire de l’univers, des étoiles à l’apparition de la vie, jusqu’à l’histoire de l’humanité. On comprend alors tout de suite le but d’un tel objet scénique non-identifié. Car on oscille entre la philosophie et la science, et on retrouve très bien l’expression qui permet à l’auteur de qualifier son style, la « philosophie-fiction », sorte de science-fiction philosophique.

Demain les chats, nouveau roman de Bernard Werber
Demain les chats, nouveau roman de Bernard Werber

Une philosophie: l’énergie de la curiosité

Les puristes s’indigneront sûrement de cette philosophie vulgarisée. Pourtant, il y a bien dans les propos de Bernard Werber un enseignement de la philosophie : celui de la curiosité. Parce qu’on apprend, d’anecdotes en anecdotes, que l’auteur est quelqu’un de curieux, que ce soit pour les randonnées à vélo en Corse ou les reportages sur les fourmis d’Afrique. Et le spectacle, comme les intérêts de l’auteur, touche à tout. Spiritualité, philosophie, sagesse du monde entier, et sciences, bien sûr. Soyons clair, si nous en savons plus sur l’auteur, nous n’apprenons rien. Mais un lecteur attentif de l’œuvre de Werber reconnait en fait ici la curiosité qui a été l’énergie créatrice de l’œuvre ; un court métrage de Nos amis les humains, la genèse de l’intérêt pour les fourmis.

Un Carpe Diem moderne ?

Il y a aussi dans la conférence la volonté d’un message de sagesse. Si parfois le message peut sembler un peu niais, sorte de Carpe Diem inspiré des sagesses du monde, il est étonnamment bien mené. Le premier objectif est de créer une véritable conscience de l’instant présent. En dehors de la salle de spectacle, il est presque surprenant de voir comment les mots sonnent creux. Pourtant dans l’intimité collective du théâtre, cela fonctionne. Et c’est le début d’une expérience d’une heure et demie qui cherche à donner conscience autant qu’à faire rire, qu’à faire connaître l’auteur. Si Werber ne maîtrise pas encore son rôle de conteur « oral », cependant il adapte très bien son propos, transposant l’écriture complice qu’il a avec son lecteur, à la salle conquise.

Alors, comment s’assurer que le spectateur a pleinement conscience de ce qu’il vit ? Comment être sûr que le spectacle de ce soir n’est pas juste un moment d’une vie culturelle, plus ou moins intense, parmi tant d’autres ? C’est un pari osé que Werber veut tenter.

Les « expériences amusantes », épisode 1 : regarder l’inconnu

Et pour cela, rien de tel que des expériences. Ce sont des expériences humaines que propose l’auteur. La première est sûrement la plus gênante, la plus perturbante et donc la plus intéressante que l’on puisse faire avec un inconnu : regarder pendant trente secondes, sans se parler, une personne inconnue. Dans ce long regard, l’auteur demande que l’on se pose deux questions : quelle est l’activité de cette personne inconnue prêt de vous ? Et encore plus intéressant : cette personne est-elle heureuse ? Les regards sont d’abord gênés, quelques rires s’installent, puis le silence. Les regards se font profonds.

Pour parler de mon expérience (pour une fois !), car c’est avant tout une expérience personnelle, mon voisin semblait extrêmement timide. Nous n’avons quasiment pas échangé de paroles. Pourtant nos regards ont tenu les trente secondes. Je l’ai imaginé employé de bureau, ou peut-être comptable. Malgré son petit sourire, ses yeux exprimaient quelque chose de très triste. Plusieurs heures après je me souviens de son visage. L’atmosphère est détendue avec brio par Werber lui-même qui énonce alors des statistiques sur les potentielles retrouvailles avec notre inconnu, voire une potentielle rencontre amoureuse.

Les « expériences amusantes », épisode 2 : regarder en soi

La deuxième expérience est encore plus étrange dans une salle de spectacle. Une vraie séance de sophrologie, tout droit sortie du cabinet d’un psychologue. 700 personnes qui ferment les yeux, se détendent, écoutent la douce voix de l’auteur et voyagent… Certains ont tellement réussi qu’ils se sont endormis, ce qu’il faut voir en sophrologie comme une vraie réussite. Avec une référence évidente aux Thanatonautes, Werber fait appel à l’imagination du spectateur pour sortir de son corps. Il vole jusqu’à la voûte céleste pour revenir sur une île personnelle, inventée. Un voyage qui continue, plus intime encore jusqu’à la maison idéale, et sa chambre d’enfance, et la lecture d’un journal donc les écrits sont dictés par l’inconscient. La méditation est impossible à mesurer dans le temps. Et Werber en demande encore plus : quelques spectateurs sont invités à partager leur île, leur journal.

Une rencontre sincère qui remporte le pari

Un spectacle assez paradoxal donc, puisque la méditation force à une introspection en direct, au lieu de découvrir l’histoire d’un autre sur scène. Il est d’autant plus intéressant que le public, de façon surprenante, accepte tout. Le silence lors de la méditation est extraordinaire, le jeu des regards respectés. C’est parce qu’on ressent ici une grande complicité entre le nouvel acteur et le public. Ce dernier est déjà conquis par Werber et fait preuve d’une docilité déconcertante.

Il est passionnant de voir à quel point il est impossible de savoir ce que l’on a vu. L’invention du mot « spectacle-conférence » convient tout à fait car c’est une vraie rencontre entre un auteur et son lectorat, et donc une vraie expérience. Expérience qui est multiple : expérience de lecteur qui sait trouver entre les lignes les références à ce qu’il a lu, expérience intime de méditation, expérience collective des regards, de la communion dans la méditation silencieuse. Alors on pardonne les petits défauts. Le manque d’assurance de l’écrivain sur scène, les récits à perfectionner, et de petits détails perfectibles sont totalement effacés par le plaisir sincère d’un auteur avec son public.