Stohead à la galerie Slika : un graffiti entre authencité et déconstruction des codes

Le street art est à l’honneur à Lyon depuis la rentrée, notamment grâce à l´exposition « Wall Drawings, icônes urbaines ». Cependant, c’est à la galerie d’art-coffee shop Slika que nous sommes allés voir le solo show du calligrapheur berlinois Stohead. Dans l’exposition aRound visible jusqu’au 10 décembre, on peut apprécier les graffitis emblématiques de l’artiste, que nous avons d’ailleurs eu la chance de rencontrer.

Stohead à la galerie Slika ©Slika
Stohead à la galerie Slika ©Slika

Stohead, né en 1973 dans le sud de l’Allemagne, débute le graffiti dans les années 1990, inspiré par les tags qui ornent les murs de sa ville. Si l’artiste a, par la suite, diversifié les supports artistiques qu’il utilise, cette exposition se consacre uniquement à son graffiti original. La technique qu’il utilise, le clear round-tip, correspond à une écriture ronde, tenant dans un carré et agrémentée de nombreuses coulures.

Une dizaine de toiles et deux graffitis à même le mur

Lorsque l’on pénètre dans la galerie de la rue des Remparts d’Ainay, on peut observer une dizaine des toiles de l’artiste ainsi que deux graffitis réalisés directement dans la galerie. L’un à même le mur de l’entrée et l’autre sur le sol, au fond de la galerie. Les couleurs utilisées pour l’écriture sont vives : du rouge, du orange, du jaune, du bleu. Les messages que l’on peut déchiffrer sur ses toiles apparaissent teintés de revendications politiques et sociales. On peut lire des slogans tels que « Peace sells but who’s buying », « Truth is the God of the free man » ou encore « All you need is love ».

Un artiste observateur du monde contemporain

Lorsque l’on interroge Stohead sur ses sources d’inspiration pour les contenus de ses graffitis, il se place en observateur du monde contemporain. Il nous confie qu’il s’imprègne des mots qu’il peut entendre au détour d’une conversation, dans une chanson à la radio ou même lire sur internet. S’il lui est déjà arrivé d’écrire lui-même les phrases de ses tags, il puise majoritairement son inspiration dans la culture populaire, politique et littéraire qui l’entoure. Dans la mesure où ses mots sont extraits de l’œuvre des autres, on peut les comprendre seuls, comme ils nous sont proposés dans les toiles, ou les relier au reste du texte duquel ils proviennent.

"All you need is love" ©Slika
« All you need is love » ©Slika

Un procédé artistique identique répété pour chaque œuvre

Pour mettre en forme les messages qu’il choisit, Stohead utilise toujours le même processus. Il écrit la phrase choisie, avec l’écriture ronde emblématique de son œuvre, de manière à la faire entrer dans un carré. À cette étape-là, l’œuvre est très horizontale. Pour y apporter une certaine verticalité, Stohead s’adonne à réaliser de nombreuses coulures. Si le travail de recherche des messages est relativement spontané, car l’artiste s’inspire du monde qui l’entoure, celui de la réalisation est très codifié. En effet, le procédé qu’il réalise est toujours le même.

La méthode de création de Stohead apparaît comme identique pour chaque œuvre mais elle n’est cependant pas industrielle. L’artiste n’utilise presque pas de technologie pour réaliser ses œuvres et pense son processus créatif comme un engagement du corps entier. Il compare sa façon de peindre à une forme de danse où tous ses membres se mettent en mouvement pour former son tag sur la toile.

Le spectateur devient un déchiffreur d’œuvres

"What goes around comes around", sérigraphie de Stohead ©Slika
« What goes around comes around », sérigraphie de Stohead ©Slika

Si le corps de Stohead se met en mouvement durant la réalisation de ses œuvres, le spectateur s’inscrit lui aussi dans une forme de mouvement. En brouillant la compréhension du message par de nombreuses coulures, l’artiste nous force à devenir déchiffreur de son art. Le spectateur est alors amené à adopter une démarche active dans la compréhension des graffitis placés par Stohead face à lui.

On regrette cependant l’uniformité des œuvres exposées

Si les œuvres exposées à Slika possèdent l’authenticité et la dimension revendicative du street art, on peut regretter l’uniformité des œuvres exposées. Les toiles qui nous sont données à voir ici sont toutes des toiles où Stohead utilise la technique du clear round-tip. Or, l’œuvre de l’artiste est beaucoup plus vaste et diversifiée. Une vision plus éclectique de son travail aurait pu nous permettre de saisir le travail de recherche que Stohead effectue sur la calligraphie depuis presque trente ans.

De la décomposition totale des lettres jusqu’à une peinture abstraite

Si Stohead procède à une forme de street art relativement classique à travers ses œuvres en round-tip, il cherche également à déconstruire cette technique. Dans d’autres de ses œuvres, il s’émancipe des règles de l’écriture traditionnelle en déconstruisant les lettres. Il va même jusqu’à les décomposer totalement pour s’adonner à une peinture abstraite. Dans sa série Boarders en 2016, les effets de fumée vaporeux que l’artiste utilisent semblent indiquer les règles strictes et les lettres partent en fumée. Cette dimension intéressante de l’œuvre de Stohead semble avoir été totalement occultée de l’exposition.

Si l’on peut regretter que l’exposition ne reflète pas toute la profondeur de l’œuvre de Stohead, elle offre cependant une vision complète de l’utilisation de la technique du clear round-tip par l’artiste. L’exposition permet ainsi au public non familier avec l’œuvre de l’artiste berlinois de prendre connaissance d’une partie caractéristique de son œuvre. De plus, le public connaisseur du writing pourra apprécier le travail d’un artiste emblématique de cet art.