Théâtre et slam, un mélange osé

Allier théâtre et slam, c’est le choix audacieux d’Àngels Aymar. Cette dramaturge catalane a choisi Lyon (où elle travaille par intermittence depuis cinq ans) pour la première représentation de sa pièce Cœurs battant comme des tambours. Celle-ci se jouera les 20, 21 et 22 mai à 20 h 30, à l’église Saint-Polycarpe. Entre deux répétitions, l’auteur et metteur en scène a pu nous accorder un moment.

Àngels Aymar vient de Barcelone, où elle a suivi une formation d’acteur, auteur et metteur en scène. Ses œuvres ont été traduites, publiées et interprétées dans plusieurs pays, notamment d’Europe et d’Amérique. Il faut savoir qu’elle aime voyager et expérimenter ses pièces dans divers pays, comme le montre son projet 100 Femmes. Il consistait à aller dans une ville, à envoyer un questionnaire à une centaine de femmes qui y résidait, et à partir de leurs réponses d’écrire une pièce de théâtre. Cela s’est fait en Espagne, aux Pays-Bas et en Corée du Sud. Ainsi, la structure des pièces était toujours la même, en revanche le contenu changeait. Ceci est un exemple du type d’écriture originale dont Àngels est adepte.

Cœurs battant comme des tambours est sa plus récente création, présentée pour la première fois à Lyon en ce mois de mai. Le thème abordé tourne autour des femmes victimes – « victimes de toutes sortes de tragédies qui peuvent toucher l’être humain », nous explique Àngels. Par exemple, deux mères qui souffrent du futur de leurs enfants adolescents embourbés dans des situations complexes. Ou encore des habitantes d’un village où se déroule un violent conflit. Ou des femmes harcelées au travail. « Notre société victimise des personnes de beaucoup de façons différentes, et notamment les femmes qui ont moins de voix que les hommes. L’intrusion de langues étrangères comme l’anglais, le catalan ou le castillan mettent en valeur l’universalité de la complainte des femmes. C’est une sorte de prière pour tant de femmes du monde, de toutes origines et cultures, qui vivent avec la peur. » Pour expliquer le choix de cette thématique, Àngels raconte : « J’aime parler de choses qui m’inquiètent, que je ne comprends pas, comme la violence dans le monde. Je pense qu’on écrit pour se comprendre soi-même, pour essayer de trouver des réponses. »

Cette tragédie a été écrite pour trois actrices (interprétant chacune plusieurs personnages) et pour être jouée dans des lieux atypiques tels que des églises ou des bâtiments en ruine. À Lyon, elle se tiendra à l’église Saint-Polycarpe. Si faire du théâtre dans ce lieu est possible, c’est que l’église n’est pas conventionnelle : elle est constituée de manière à laisser un grand espace ouvert qui permet de circuler. Circuler, il y en aura besoin, puisque c’est un spectacle itinérant. Ainsi, le public se déplace là où interviennent les différents tableaux, il suit les comédiens, est proche d’eux, a l’impression de faire partie de la scène. De plus, jouer dans une église permet une sonorité très austère, qui correspond bien à la pièce, alimentant ce sentiment de peur qui émane des personnages.

Venons-en à présent au titre de notre article. Le slam et le théâtre associés, cela s’est déjà fait. Néanmoins dans la pièce d’Àngels Aymar, le slameur n’est pas simplement en voix off. Il est sur scène, prend part à l’action, devient un personnage. Il personnifie l’espoir, qui est un soutien dans les moments difficiles. C’est en cela que c’est une nouveauté. « Je connais des gens qui n’aiment pas le slam, mais lorsqu’il est mis en scène comme ici, c’est différent. Une discipline change selon la façon dont elle est employée, cela donne un tout autre résultat. »

Àngels tient à ce que le public soit réellement impliqué dans la pièce. Il l’est ici, par son mouvement itinérant bien sûr, mais aussi car le texte demande un travail de réflexion. Ce n’est pas le genre de texte que l’on avale tel quel. Àngels compare son œuvre à une exposition de tableaux classiques réalistes : après l’avoir vue, il faut réfléchir, y repenser, pour construire soi-même l’histoire. « Cet ouvrage interroge le spectateur sur sa propre capacité à agir ou à se laisser agir. »

Cœurs battant comme des tambours est en fait inspirée d’une de ses précédentes créations, qui fut jouée à Barcelone et à New York. Celle-ci a été révisée, complétée, restructurée. Et ce sont les Lyonnais qui ont la priorité pour découvrir ce tout nouveau rendu.

C’est en allant voir d’autres pièces de théâtre qu’elle a déniché deux de ses comédiennes (Karin Martin-Prével et Valeria Cardullo) et son slameur (Lee Harvey Asphalte). « J’ai trouvé qu’ils correspondaient bien à chaque personnage. » Quant à la troisième comédienne (Adeline Flaun), elle vient de Barcelone, et était déjà dans la pièce qui a inspiré celle-ci. La compagnie s’est donc créée à Lyon, spécialement pour ces représentations. Àngels apprécie de mélanger des comédiens provenant d’endroits variés.

Enfin, cette pièce sera interprétée dans le cadre de deux festivals : le Festival Printemps d’Europe à Lyon en cette fin de mai, puis le Festiu Fringe Festival à Barcelone début juillet (mais attention, toujours en langue française !). En réalité, les deux festivals ont contacté Àngels en même temps, après quoi, elle a décidé de les mettre en lien et de jouer sa pièce aux deux évènements, car elle trouve intéressant d’observer la réaction de deux publics distincts.

Nous attendons nous aussi de voir le résultat et comment le public réagira devant une telle proposition.