Vader de Pepping Tom, pièce à l’univers troublant, ce mardi 16 mars à la maison de la Danse : reportage

ArlyoMag a assisté à la pièce Vader de la compagnie Pepping Tom et en est ressortie… scotché. Mise en scène signée par Franck Chartier, on retrouve dans ce premier volet de la trilogie Père-Mère-Enfant, un mélange de danse, de théâtre et de chant, le tout dans un univers atypique, perturbant et bouleversant.

La compagnie Pepping Tom

Créée depuis 2000 par Gabriela Carrizo et Franck Chartier, sa principale caractéristique est son côté hyperréaliste avec une scénographie concrète. Cette trilogie, Vader, Moeder et Kinderen, a comme thème le monde onirique du cauchemar, du désir et de la peur. L’isolement, la logique du temps et de l’espace sont aussi très présents. Cette pièce de 1h30 est jouée par 7 comédiens/danseurs et 10 amateurs.

La pièce

Assise dans mon siège, les rideaux s’ouvrent. Je découvre alors le décor d’une salle. Je me trouve transportée dans une maison de retraite, liaison entre la vie et la mort. Première impression de cette antichambre, plutôt « normale », des tables, des chaises, des couverts, un piano à droite. Une femme, un homme, un dialogue. Les comédiens, danseurs et chanteurs parlent en Hollandais, du texte traduit en anglais est retranscrit sur un écran en haut de la scène pour que nous, public, puissions suivre avec aisance le spectacle. Puis, plus la pièce avance, plus il est difficile de différencier réalité et imaginaire, plus il est difficile de ne pas se sentir angoissé par cette ambiance assez pesante et parfois effrayante. Une jeune femme se transforme en vieille dame aigrie avec une évolution dans la transformation très explicite, par sa voix, ses gestes et sa posture. On voit ainsi très clairement le rôle du temps agir sur le corps. Une autre devient parfois folle, échangeant alors son rôle avec les internés qui sont plutôt seins d’esprit. Vader bascule la réalité dans le rêve et transforme cette maison de retraite dans l’inconscient.

Nous nous attachons aux deux personnages principaux qui sont un père, Léo, et son fils, Simon. Nous suivons leurs évolutions. Le père vient d’être interné dans cette maison de retraite et ne veut pas y rester. Quand il veut partir et suivre son fils, qui passe par les portes battantes pour rejoindre le monde actif, les portes ne s’ouvrent pas à lui. Il ne peut plus faire demi-tour, son heure est arrivée. La relation n’est pas facile avec un fils trop occupé au travail qui ne peut vous voir que 30 minutes tous les lundis, et qui vous prend pour un fou ; avec un père qui ne comprend pas que ce moment partagé empiète sur votre temps de travail et qui n’est plus autonome du tout, cela n’aide pas non plus la situation. Il est intéressant de voir l’évolution de ces deux personnages et de se rendre compte à la fin que le fils a pris la place du père et que devant lui aussi les portes deviennent closes. C’est alors à son tour de se retrouver enfermé dans ce lieu, et de perdre toute autonomie et sens de la réalité.

Une chose intéressante dans cette pièce, c’est son interprétation assez difficile à établir. En effet, j’en aurais deux à faire : lors de la pièce, Léo, assimilé à un vieillard, joue du piano, chante, danse et plait aux filles. On peut se demander alors si ce vieillard est vraiment aussi fou qu’on le pense. On peut supposer qu’en fait les rôles sont inversés et que la personne la plus vieille de la pièce, vue comme étant perdue et détachée du monde, serait alors la personne la plus saine d’esprit et ayant le plus de joie de vivre. Les rares moments joyeux et lumineux de la pièce sont quand ce vieillard se met à être heureux. Cependant, une autre version des faits est possible puisque l’on peut penser que tout cela se passe dans son imaginaire, car le réel n’a plus de sens dès que l’on franchit les portes battantes de cette maison de retraite. La confusion entre la réalité et la perception est donc bien présente. Est-ce que ce vieillard ne rêverait-il pas de tout cela pour pouvoir trouver un fond d’espoir et continuer à vivre ?

Crédit photo : Peeping-Tom_Vader_c_Herman-Sorgeloos-2
Crédit photo : Peeping Tom-Vader – Herman Sorgeloos

Danse

Il est vrai que cette pièce a un aspect très théâtral, mais la danse y a un rôle important également. L’angoisse permanente se ressent constamment dans les faits et gestes des danseurs. Les courbures de dos, les spasmes réguliers, une danse très saccadée… tous ces gestes nous font nous projeter au cœur d’une maison de retraite. Ces mouvements représentent en effet des caractéristiques de personnes très âgées. En opposition, à certains moments les danseurs sont totalement élastiques et se contorsionnent infiniment. Cela permet de faire la part des choses et de différencier le personnel de la maison de retraite, des patients, même si parfois cela ne semble pas être clairement établi. La danse définit elle aussi l’univers instable de Vader. La danse permet ici au spectateur de ressentir ce que le comédien traverse, sa peur, ses doutes, ses frustrations… On parle de « pensée en mouvement » : la danse est en accord avec la pièce et les comédiens. Le public est alors dans de meilleures conditions pour comprendre réellement le sentiment du comédien. Me concernant, tous ces mouvements m’ont énormément angoissés, fait réfléchir sur ce que vivait les comédiens, en particulier Léo, et c’est, je pense, ce qui était recherché.