Vaiana, la légende du bout du monde : histoire d’un aller-retour

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Nouveau Disney de l’année 2016, après rien de moins que Zootopie, Le Monde de Dory, Le Bon Gros Géant et Peter et Elliott le Dragon, Vaiana, la légende du bout du monde est le traditionnel rendez-vous annuel pour les fêtes de fin d’année.

Le film marque le retour du duo John Musker et Ron Clements, qui ont signé des succès de Disney durant les années 90 tels qu’Aladdin ou La petite sirène. Vaiana est également leur premier film fait par ordinateur et en 3D.

Que s’attendre exactement en allant voir un film du duo ? Un cocktail rafraîchissant d’humour, de fantaisie, de dépaysement et surtout de chansons pouvant devenir mythiques, comme l’ont été les airs cultes « Ce rêve bleu »,  « Sous l’océan » ou, moins connues mais tout aussi somptueuses, « de « Zéro en héros » ou « Comme un homme » ? 

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John Musker et Ron Clements ont également réussi l’exploit d’aligner une galerie de méchants mémorables à chacun de leurs films ; jugez par vous-même :

  • Rattigan, dans Basil Détective Privé
  • Ursula, dans La Petite sirène
  • Jafar, dans Aladdin,
  • Hadès, dans Hercule
  • Shan Yu, dans Mulan
  • Long John Silver, dans La Planète au Trésor

Et dernièrement le Docteur Facilier dans La Princesse et la Grenouille.

Pas mal comme palmarès pour des réalisateurs n’ayant signé que 8 films en 20 ans…

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Légende polynésienne, CGI et Broadway…

L’autre aspect qui définit également le duo est une relecture quasi inconsciente du Héros aux 1000 visages de Joseph Campbell.

Contrairement à des versions très librement adaptées par le passé, comme justement La petite sirène d’Andersen ou la légende d’Hercule, Vaiana  ou Moana dans son titre original — est fidèle aux grandes lignes de la légende polynésienne, à deux-trois détails près qui servent le récit, et des rajouts disneyens typiques mais loin d’être gênants.

À la fin des années 2000/début 2010, Raiponce, La princesse et la Grenouille et La Reine des Neiges établissaient clairement la ligne directrice des nouveaux films d’animation Disney.

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À savoir : des héroïnes ayant du caractère et de la personnalité, à l’opposé des délicieusement naïves Blanche Neige ou Cendrillon, ainsi que le retour des chansons fortement inspirées des musicals de Broadway, grâce aux progrès technologiques actuels et également ceux menés en animation traditionnelle, comme dans La Princesse et la Grenouille.

Mais le gros atout des dernières productions Disney est l’utilisation de plus en plus perfectionnée et ambitieuse au fur et à mesure des années de l’outil informatique.

Volonté venant sans doute de la venue de John Lasseter chez Disney, ex-patron de Pixar et réalisateur de Toy Story et Cars, qui a redynamisé la machine pour éviter au studio de la Souris de finir comme leur concurrent direct, Dreamworks.

Déjà exploré en animation traditionnelle dans l’excellent Lilo et Stitch et ses suites/séries/DTV ainsi que dans l’animé Super Baloo, le cadre enchanteur et fabuleux des îles du pacifique est un terrain encore vierge à découvrir en images de synthèse.

L’utilisation du nouveau logiciel 3D — mis en place pour Big Hero 6 (Les nouveaux héros) — associé aux talents d’écriture, de mise en scène et d’inventivité du duo Musker et Clements allait forcément faire des étincelles sur un sujet aussi riche et passionnant que Vaiana.

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Partir là-bas

On peut noter dans les films du duo comme dans les derniers Disney une volonté évidente de proposer à présent des films toujours aussi drôles, dépaysants et visuellement somptueux, mais ayant des sous-textes et une écriture riches de caractère et/ou de background ; Zootopie en est un parfait exemple encore cette année. 

Cette rigueur d’écriture, on la doit sans doute à l’inspiration et au savoir-faire des génies de Pixar, ayant atteint un pic qualitatif avec le doublé Toy Story 3/Là-Haut.

Prouvant que les Américains aussi bien de chez Pixar, de chez Dreamworks ou à présent de chez Disney, pouvaient rivaliser avec leurs homologues nippons en termes de maturité et d’enjeux dans l’écriture, sans renier l’enveloppe des films d’animation. 

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Il est en effet assez surprenant de voir dans Vaiana un récit qui ne correspond plus à une simple histoire de « néo-princesses » (ma désignation pour les nouvelles héroïnes Disney, depuis Raiponce), là où la Reine des neiges était  riche en dramaturgie mais néanmoins 100% calibré pour plaire instantanément, se fondant tout à fait dans le moule Disney.

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Vaiana, comme Mulan ou Hercule, est un récit balisé par la quête initiatique de son héroïne ainsi que par les archétypes classiques du récit héroïque et mythologique de l’appel à l’aventure, avec des épreuves qu’elle devra traverser afin de réussir sa quête.

Tout comme la chanson-titre « Le bleu lumière » (How Far I Go en VO) l’indique, Vaiana est attirée par l’océan qui est comme un appel vers sa destinée, et ce depuis son enfance, mais elle s’y refuse au nom de ses responsabilités de fille de chef de village.

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Tout comme les précédentes héroïnes ou héros des films du duo, Vaiana doit donc quitter son île pour accomplir sa quête, quitte à renoncer à ses responsabilités et décevoir ses parents — parallèle ici à faire avec une certaine Merida, de Rebelle.

Mascottes et allié déjantés

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Vaiana est aussi l’occasion du retour d’un élément qui manquait à des films d’animation récents, à savoir l’allié déjanté, qu’on retrouvait chez Pixar et Dreamworks ces dernières années.

Venant du duo Musker/Clements, l’exemple le plus célèbre est forcément le Génie d’Aladdin, et Maui se pose comme son successeur moderne — il possède une vraie présence, un charisme et, une nouveauté avec le demi-dieu polynésien, une personnalité assez ambiguë.

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Contrairement à ses prédécesseurs, Maui est le véritable déclencheur de l’histoire de notre héroïne, là où les alliés classiques étaient rencontrés après le départ du héros/héroïne et accompagnaient sans avoir de réels enjeux ou motivations à poursuivre.

Le duo Vaiana/Maui se complète au fur et à mesure de l’avancée du film, alternant séquences humoristiques avec séquences d’apprentissage de la navigation ou de l’utilisation des pouvoirs de métamorphe de Maui, ou des passages plus dramatiques comme ceux révélant les motivations opposées des deux personnages, ou comment Maui essaye de manipuler Vaiana à des fins personnelles.

Tenacious teenager Moana (voice of Auliʻi Cravalho) recruits a demigod named Maui (voice of Dwayne Johnson) to help her become a master wayfinder and sail out on a daring mission to save her people. Directed by the renowned filmmaking team of Ron Clements and John Musker, produced by Osnat Shurer, and featuring music by Lin-Manuel Miranda, Mark Mancina and Opetaia Foa‘i, “Moana” sails into U.S. theaters on Nov. 23, 2016. ©2016 Disney. All Rights Reserved.

L’émotion est le moteur du film car il est le déclencheur à la fois intime et narratif de la quête de l’héroïne, sa peur de l’inconnu, marquée à la fois par les limites géographique connues (les grands fonds) et par ses propres limites psychologique (ses obligations quant à son village), la poussant à choisir entre partir ou rester.

L’émotion va guider Vaiana, jusqu’au point de non-retour, devant l’objet même de sa quête, avant de finalement se révéler dans une séquence similaire à un passage-clé du Roi Lion, mais thématiquement supérieur.

Au bout de cette séquence, le film décolle en liant à la fois l’intime et le gigantesque à travers deux séquences (musicales en plus) totalement ahurissantes et épiques.

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Disney oblige, Vaiana est également l’occasion de retrouver les mascottes.

Et comme l’étaient Mushu, Abu, Polochon ou même Pégase, certains ne servent pas uniquement à représenter l’humour pour détendre l’atmosphère.

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Pua, le cochon domestique, est complètement figurant, étant présent uniquement dans les scènes d’émotion (et les chansons) avec Vaiana, tant que cette dernière est sur son île.

La vraie mascotte-star du film est bien le coq Heihei.

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Heihei est un vrai ressort comique permanent liant les personnages entre eux ; sa présence, sans le savoir, aidera Vaiana et Maui dans leur mission.

Le personnage, hilarant dès sa première apparition, est toujours efficace tant il est idiot, dépassé par le monde qui l’entoure, et inconscient de ce qui l’attend lorsqu’il se retrouve — par accident —avec Vaiana.

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Autre personnage secondaire renvoyant là aussi à Aladdin : la Vague, dont les mimiques et l’attitude sont proches de celle du Tapis volant.

Au-delà de l’aspect mascotte magique, la Vague représente l’océan, qui a choisi et protège Vaiana.

Et malgré certaines séquences comiques avec Heihei puis Maui, la Vague est dans les ressorts narratifs des contes ce qu’on appelle communément « l’aide magique ».  

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La seconde aide magique, ayant cette fois-ci un rôle à jouer sur des ressorts narratifs de l’histoire, est Mini Maui.

Le tatouage vivant sur l’épaule représente la conscience du demi-dieu, et est lui aussi l’occasion à la fois de nombreuses séquences comiques mais aussi dramatiques.

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Ennemis, Fury Road et références cinématographiques

Vaiana devra traverser des épreuves pour réussir sa mission et passer des épreuves géographiques (les fonds-marins ; sa première tentative de prendre la mer). Elle sera aidée par l’Océan pour partir à l’aventure et rencontrer les premiers dangers, à savoir les Kakamoras, peuplade de pirates faits en noix de coco, dont la séquence aurait été, des dires mêmes des réalisateurs, fortement inspirée par le génie du découpage de George Miller sur le chef-d’œuvre Max Max Fury Road

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WITNESS!!!

… allant même jusqu’à reprendre une séquence du film, avec un sens du dynamisme et du découpage enterrant en 5 minutes le Waterworld de Kevin Reynolds.

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Suit ensuite le crabe « bling bling » Tamatoa, dont la séquence est efficace mais trop en retrait du reste du film, malgré l’aspect à la fois funky et visuellement splendide de son repaire.

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Et enfin la menace de Te Ka, sorcière de lave gigantesque, convoitant l’objet même de la quête : le cœur de Te Fiti.

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Libéré… des contraintes techniques…

L’utilisation de l’outil informatique a complètement libéré les deux réalisateurs dans leur mise en scène ; ils avaient déjà pas mal utilisé l’ordinateur pour concrétiser les séquences, dans Hercule, de l’Olympe ou de l’Hydre de Lerne, également pour la séquence de l’avalanche dans Mulan, ou encore les parties cybernétiques de Long John Silver dans La Planète au trésor ou bien encore les effets de lumière et de magie dans La Princesse et la Grenouille.

Non seulement leur réalisation arrive à atteindre des sommets, mais elle exploite à merveille le sujet et les sublimes décors et personnages de l’aventure, grâce à des idées de mise en scène ou de séquences absolument hallucinantes.

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Il suffit de voir cette séquence, digne d’un Pixar ou d’un Ghibli, de la rencontre entre bébé Vaiana et l’océan et de la manière dont il la choisit : le rendu et les effets de l’eau sont absolument parfaits. La rencontre avec la Vague rappelle la poésie de la séquence du pseudopode dans Abyss.

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Plus encore que dans leurs précédents travaux — comme les effets de transition, avec références en pagaille à l’appui, dans les séquences survoltées avec le Génie ou celles des chansons des muses dans Hercule —, les deux réalisateurs jouent avec les différences de textures des peintures, les teintures ou encore les tatouages de Maui en tant qu’ils sont des éléments de transition et de découpage du rythme de certaines séquences ; il suffit de voir les raccords de plans dans la chanson « Pour les Hommes » (« You’re Welcome » en VO) ou, un peu plus tard, comment Mini Maui sert de contrechamp des réactions de Maui plus que le personnage lui-même.

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Le second élément là aussi fortement inspiré par James Cameron est d’utiliser l’apport de la 3D (image et stéréoscopie) pour décupler la puissance du souffle épique en brisant complètement les frontières de l’espace dans l’action, particulièrement avec Maui en action quand il se transforme mais aussi avec Vaiana quand elle doit se surpasser pour souligner son côté héroïque.

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Des séquences comme la fuite des navires des Kakamoras ou encore le climax marin face à Te Ka font partie des plus belles séquences de l’année.

Si La Reine des Neiges, et Raiponce avant elle, ont posé les briques du renouveau de Disney avec l’utilisation de l’ordinateur au profit de l’animation traditionnelle, il leur manquait encore un film pour réellement faire leurs preuves et raviver la flamme en rivalisant avec les titres prestigieux de la période des 90’s, tels que l’emblématique Le Roi Lion.

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Vaiana, la légende du bout du monde est à tous les niveaux le meilleur film d’animation de Disney depuis son retour en grâce dans les années 2010, mais il est surtout l’héritier direct du Roi Lion pour le 21e siècle.

 

Philippe Orlandini

Philippe Orlandini

Chroniqueur cinéma, séries et actu geek en général. On me dit le sosie de quentin tarantino et de voldemort.